mardi 19 mars 2024

Solennité de Saint Joseph – 2024 – (Fribourg)

Frères et sœurs, ce qui est très étonnant dans la personnalité de Joseph, dont nous célébrons aujourd’hui la solennité, c’est son silence. Un silence retentissant. L’Évangile, en effet, ne retient aucune parole qui aurait pu jaillir de ses lèvres.

 

 Silence de retrait. Mais Joseph pouvait-il ajouter un mot de plus à la réalité du mystère qui avait commencer de s’accomplir sous ses yeux : 

      l’engendrement de Jésus par l’action de l’Esprit Saint dans le sein de la Vierge,

      la maternité virginale de Marie, 

      la nativité du Fils de Dieu, dont il devenait le père putatif.              

      l’incarnation de Dieu sous les traits d’un nourrisson 

Tout cela le laissent sans voix, le plongeant dans l’abime silencieux de l’adoration. C’est au Verbe

de Dieu (qui devenait son fils adoptif) qu’il revenait de s’exprimer, quand il voudrait et comme il voudrait.

 

Le silence est une injonction divine, dont on trouve la trace dans toute l’Écriture, tout au long de l’histoire du salut : « Mets une garde à mes lèvres, Seigneur, veille au seuil de ma bouche » prévient le psalmiste (Ps 141) « Qui garde sa bouche, garde sa vie », conseille le livre des Proverbes (Pr 13,3). 

« Shéma Israël », écoute Israël, dit le Seigneur, exigeant de son peuple de clore ses lèvres pour mieux ouvrir ses oreilles. Ainsi le silence de Joseph s’inscrit dans une longue tradition de sagesse et d’intériorité. Il fait mémoire de cet appel constant du Seigneur à entendre sa Parole, à accueillir sa présence sans restriction et sans arrière pensée.

 

Joseph se montre le digne successeur de son ancêtre Salomon qui réclama du Seigneur qui voulait le gratifier de ses bienfaits, de recevoir, non pas la richesse, ni même le pouvoir, mais de lui accorder seulement « la grâce d’un cœur qui écoute ». Joseph se disposera en creux pour recueillir dans son silence, les appels mystérieux de Dieu. Le silence sera la patrie de son obéissance, de son adhésion plénière aux desseins du Seigneur.

 

Que l’ange lui enjoigne de prendre chez lui Marie, alors qu’il avait résolu de la répudier, pour la protéger du déshonneur ; que le Seigneur l’avertisse en songe de partir avec les siens en Égypte ou d’en revenir… ; en tout, Joseph obéit. Il s’exécute. Le silence l’éduquera à la docilité aux imprévus, car la contingence est le domaine de l’Esprit Saint. Dieu parle par des portes qui s’ouvrent, mais souvent aussi, par des portes qui se ferment, en déjouant nos attentes et nos pronostics. Mais en toute vérité, Joseph parle. Il parle non pas par des mots, mais des gestes. Le silence est l’écrin de son action, et son mutisme fait encore mieux ressortir la dignité et la profondeur des actes qu’il pose.

 

Les stylites ne sont pas saints pour avoir vécu sur une colonne ; Jeanne d’Arc ne fut pas canonisée pour avoir, avec ses soldats, délivré la France, ni Bernadette, pour avoir vu la Vierge Marie à Lourdes ; Thérèse de Lisieux ne fut pas déclarée docteur de l’Église parce qu’elle était entrée au carmel à 15 ans.

 

L’existence la plus héroïque ou la plus méritante ne fait pas la sainteté. L’Église reconnaît la sainteté de ses enfants, non pas leurs performances spirituelles, leur mortification, leurs vertus morales ou leur dévouement, mais parce qu’ils ont accompli à la perfection la volonté du Seigneur dans leur cadre de vie.

 

On dit parfois que les saints sont plus admirables qu’imitables. Ce n’est pas toujours vrai et tout particulièrement pour Marie et Joseph car ils ne sont pas saints pour avoir fait des choses extraordinaires, mais pour avoir accompli humblement, fidèlement et avec une parfaite charité, la volonté du Seigneur là où ils se trouvaient. Leur sainteté est sans éclat. Ils se sont sanctifiés dans la vie ordinaire à Nazareth et au contact de leur enfant. Oui, plus un saint est proche du Seigneur, et plus il rayonne sur le monde. Et nul n’a été aussi proche du Verbe Incarné, que Marie, sa mère, et que Joseph, son père nourricier.

 

Joseph se sanctifie au quotidien par le quotidien, par le service concret et attentif de Marie et de l’enfant Jésus. Il engage et mobilise toutes ses énergies dans cette tâche : son corps, par son travail, ses sentiments, dans l’affection qu’il porte aux siens, son intelligence pour agir prudemment, sa prière fervente pour découvrir et accomplir la volonté de Dieu...

 

Mais le silence de Joseph porte aussi des stigmates. Celle des combats et des arrachements auxquels sa foi a dû consentir. Croire, c’est être capable de porter ses doutes. Il faut toujours distinguer le fait de douter « de » Dieu et le fait de douter « en » Dieu, c’est-à-dire éprouver à la pointe de la foi, la déception de la non évidence, éprouver que Dieu n’est jamais autant Dieu que lorsqu’il me manque, suscitant au-dedans de soi le désir de le chercher encore, à tâtons, dans la nuit. 

 

Le silence de Joseph protège Jésus du monde. Il est le garant de sa vie cachée. En Joseph, « le Seigneur a trouvé un homme à qui confier le secret le plus sacré de son cœur » dira Saint Bernard. Jésus demeure à l’ombre du silence de Joseph. Il s’y recueille. Il s’y repose… 

 

Le silence est la patrie de Joseph. Elle enveloppe sa prière qui se fait contemplation chaste et amoureuse de Marie, en qui Dieu fait ses délices, et dont la beauté intérieure et immaculée l’invite, jour après jour, à devenir digne d’elle. Sa prière se fait adoration pour s’émerveiller à Bethléem, avec les bergers et les mages, de l’avènement du Messie Sauveur dans la vulnérabilité d’un bébé qui babille ; Sa prière se fait « louange » pour s’étonner à Jérusalem, auprès des docteurs de la Loi, de la sagesse de Jésus adolescent qui est déjà « aux affaires de son Père ». 

 

C’est à partir du silence que Joseph cherche Dieu, qu’il le trouve en Jésus, qu’il se réjouit de la

présence sous son toit, du Fils de Dieu devenu son enfant.

 

« Pour apprendre Dieu, disait Jean de la Croix, l’esprit doit plutôt renoncer à ses lumières, que de chercher à s’en servir ». Ce jeûne de paroles que Joseph s’impose, est pour nous une leçon de vie. Le silence a tellement de choses à nous dire, dans notre monde bavard et bruyant. Et comme le conseil un proverbe touareg plein de bon sens : « Si le mot que tu vas prononcer n’est pas plus beau que le silence que tu vas quitter, alors tais-toi ! », c’est ce que je vais devoir faire dans un instant. 

 

Frères et sœurs, le silence est plus qu’une abstinence de paroles, c’est une densité de présence, une plénitude d’amour qui rassasie l’âme. Le silence est l’habitude de Dieu, la langue de l’Esprit Saint. Alors, sur les traces de saint Joseph, c’est là que le Seigneur nous fixe rendez-vous dans la prière de l’oraison ! Amen. 

dimanche 3 mars 2024

Homélie du samedi 02 mars 2024 – 2e semaine de Carême

 

            Frères et sœurs,  cette parabole du « Fils prodigue » qui nous est bien connue pourrait aussi s’appeler la parabole des « deux fils héritiers d’un trésor ». Il me semble que les deux frères trouvent tous les deux un trésor et qu’ils sont tous les deux une invitation à ce que nous trouvions aussi ce même trésor. Dans le cas de chacun d’eux il y a une histoire d’argent, de possession. Et dans les deux cas les deux frères sont plus riches à la fin qu’au départ.  

 

1-            Dans le cas du cadet, il demande sa part d’héritage à son Père et il part très riche. Et puis comme on l’a entendu il devient très pauvre matériellement et même humainement sans parler de l’aspect spirituel dont il est pauvre depuis longtemps. C’est alors en rentrant en lui-même en essayant de retrouver son cœur profond, après avoir fait l’expérience de son péché, de l’insuffisance des biens de ce monde pour remplir le cœur qu’il va découvrir un trésor qu’il ne soupçonnait pas, un trésor qui enrichit beaucoup plus que l’héritage qu’il a reçu, cet héritage des biens de la création, de la santé, de la nature… En recevant tout cela de son Père, le cadet aurait dû comprendre que son Père avait un trésor encore plus grand mais il s’est refermé sur les dons reçus qui lui avait été fait sans remonter plus haut. Et le trésor qu’il découvre en rentrant c’est le cœur de son Père. Et il découvre que toute sa valeur, toute sa dignité, toute sa richesse, elle est dans ce cœur du Père qui bat d’amour pour lui, qui l’a attendu, qui court vers lui et le couvre de baisers. Toute la richesse du cadet, c’est d’avoir découvert combien il est aimé. Et lorsqu’on a découvert ce trésor tout le reste ne compte plus et devient bien secondaire. Donc le premier trésor que découvre le cadet, c’est l’expérience personnelle de la miséricorde.

 

2-                      Passons maintenant au fils aîné. Lui aussi semble riche mais on apprend qu’il ne l’est pas puisqu’il se considère comme un serviteur et non comme un fils (voici tant d’années que je travaille pour toi !). Et pourtant son père lui a tout donné (Tout ce qui est à moi est à Toi !). Mais lui aussi doit trouver son trésor, devenir aussi un fils. Sauf que pour lui le chemin est différent.             Et il est intéressant de constater que dans le discours du Père, la révélation que tout appartient au fils aîné va de paire avec l’invitation à entrer dans la maison, dans la joie du Père et c’est seulement lorsque l’aîné entrera dans la maison et saura se réjouir du retour de son frère et vibrer à l’unisson du cœur de son Père qu’il découvrira son trésor

                Ce deuxième trésor, c’est la miséricorde faite aux autres. Et lorsque le fils aîné se mettra à aimer il découvrira que c’est cela sa vraie richesse, cela qui fait qu’il est vraiment l’aîné, qu’il possède le même trésor que son Père : la miséricorde.

            Cette miséricorde rend riche car elle délivre de la jalousie, elle rend libre et elle dilate le cœur car elle le fait battre à l’unisson du cœur de Dieu.

    Quel cadeau Dieu nous a donné, frères et sœurs, en nous faisant aimer comme lui-même sait aimer. Demandons ce matin au Seigneur pour nous-mêmes et pour tous ceux qui errent encore loin de lui de nous donner la grâce de savoir témoigner par nos paroles mais surtout par toute notre vie combien Dieu nous aime et combien notre seul vrai bonheur sera de l’aimer éternellement. Amen.