dimanche 16 juillet 2017

Homélie ordinations des frères carmes – 16 juillet 2017

« Jésus, voyant sa mère et, se tenant près d’elle, le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. »

Frères qui allez maintenant recevoir l’ordination, vous êtes, comme l’apôtre Jean, des disciples que Jésus aime. Au point de faire de vous ses prêtres. Frère Benoît-Marie de l'Enfant-Jésus aujourd’hui ; frère Cajetan de Stella Maris et frère Kelvin de Jésus dans quelques mois, si Dieu le veut. Le Seigneur vous a choisis et il vous aime d’un amour particulier. Parce que vous acceptez d’être, pour le monde et dans l’Eglise, configurés au Christ bon Pasteur qui donne sa vie pour ses brebis.

Mais, comme l’apôtre Jean, vous êtes aussi appelés à vous tenir au pied de la croix. C’est la place du prêtre : au centre du drame. Du drame qui se joue dans le cœur de l’homme. Au pied de la croix, il y a ces saintes femmes avec Marie, la première Eglise, qui consent au sacrifice du Seigneur, sans toutefois en comprendre toute la portée, mais qui l’accueille dans la foi et dans l’espérance. Et puis, dans ce lieu de ténèbres, il y a cette part d’humanité révoltée contre Dieu, qui met Dieu en procès, qui l’accuse et le livre à la mort.

Nous ne sommes pas ordonnés, vous le savez bien, pour notre confort spirituel, pour profiter chaque jour d’un climat de sécurité et de paix, pour fréquenter les lieux à la mode, les lieux où l’on se presse, les lieux où tout va bien, les lieux où l’on brille devant les hommes. Nous sommes prêtres pour approcher le cœur de l’homme, lieu de combat, d’indécision, de contradiction ; afin d’y annoncer la joie du Christ, l’amour inconditionnel de Dieu pour tout homme.

Un prêtre est ordonné pour cela : pour porter au monde la lumière de l’Evangile. Mais il doit accepter, du coup, de se heurter au refus, à la peur, à l’incapacité de se décider pour Dieu. Il se heurte à la nuit : nuit de l’indifférence, nuit du doute, nuit du découragement, nuit de la violence, nuit de la faiblesse humaine, nuit du péché. Un prêtre se tient là, dans la nuit, au pied de la croix.

Mais dans la nuit, un prêtre n’est jamais seul. Le Crucifié l’a précédé. Evidemment un prêtre peut se laisser engloutir, étouffer par la nuit. Il s’y laisse engloutir quand il pense qu’il doit affronter cette nuit à mains nues, quand il pense qu’il est lui-même, avec ses pauvres forces, le recours ultime face aux œuvres de la nuit.

En réalité il ne fait que se tenir au pied de la croix pour recueillir et dispenser les flots de miséricorde qui coule du côté transpercé du Seigneur. Il est là pour montrer d’où jaillit la vie, la vie en abondance : du cœur blessé de Jésus. Cette vie, le prêtre la répand sur le monde par les sacrements : c’est l’eau et le sang ; l’eau baptismale, le sang du sacrifice eucharistique dont le prêtre est l’humble serviteur.

Quand le cœur d’un prêtre, à la manière de St Jean, est proche de son Seigneur ; quand il accepte de se tenir là, au milieu des contradictions du monde ou de son indifférence à Dieu, et d’y apporter les richesses du cœur de Jésus, en osant dire à tout homme qu’il est aimé de Dieu, alors son ministère est d’une incroyable fécondité.

La vocation d’un prêtre est haute et belle parce qu’il se tient au centre du drame. Nous nous tenons précisément à ce carrefour où l’homme hésite entre le service de soi et le service de Dieu. Mais c’est là qu’est plantée la croix du Rédempteur ; et de cette croix s’écoule la source de la vie dont nous sommes les ministres. Afin que l’homme étanche sa soif ; afin qu’il sorte de la nuit ; afin qu’il lève les yeux de la terre pour regarder vers le ciel ; parce que c’est cela sa vocation et sa dignité.

Tout prêtre est d’abord ordonné diacre. Pourquoi ? Parce que le sacerdoce est un service. Service des baptisés. Et par cette ordination au diaconat, nous sommes configurés au Christ serviteur, au Christ qui se met à genoux et qui lave les pieds de ses apôtres. Nous sommes configurés au Christ qui s’agenouille devant les plus pauvres. Et qui nous demandent de faire ainsi.

Nous ne pouvons pas faire autrement que de vivre notre sacerdoce comme des diacres. A genoux ; à genoux pour adorer le Dieu trois fois saint ; à genoux pour servir nos frères et sœurs baptisés ; et tout particulièrement ceux qui sont dans la nuit, celle de la solitude, celle du doute, celle du péché. Notre ministère de prêtre a la forme d’un service. Le service du salut, le service de la rédemption, le service de la miséricorde du Père. Et ce service nous l’exerçons au pied de la croix du Sauveur.

« Voici ta mère. » Jésus confie l’apôtre à sa mère. Comme il lui confie tous les prêtres. Marie est la mère de tous les prêtres et nous avons avec elle une relation particulière. Parce qu’elle est présente à notre ministère. D’une présence discrète, mais attentive, protectrice, maternelle.

Marie sera toujours avec nous, et en particulier au pied de la croix du Seigneur. Car cette croix, nous pouvons en avoir peur. Il n’est pas si facile de se tenir dans ce lieu qui est à la fois un lieu de grâces extraordinaires et à la fois un lieu de combat. Et un combat qui nous traverse dans notre vie de prêtre, dans notre vie d’homme.

Or Marie nous est donnée pour mère précisément là. Et d’abord là. La grotte de Massabielle nous le rappelle. L’obscurité de la grotte nous ramène à celle du Golgotha. Et le sourire de Marie à Bernadette nous rappelle que Marie se tient là, debout, comme à la croix, nous protégeant des ténèbres, veillant sur chacun de nous, nous indiquant qu’une source jaillit là où, précisément, la nuit est la plus épaisse. Elle nous enveloppe de sa tendresse maternelle dans ce lieu de combat. Elle nous éduque à la douceur du Bon Pasteur. Elle nous apprend à ne pas craindre pour nous-mêmes mais à avoir d’abord dans la tête et dans le cœur le souci des hommes et des femmes qui nous sont confiés.

Marie nous apprend l’humilité qui ne se regarde pas mais qui regarde vers l’autre. Fortifiant notre espérance, nourrissant notre foi, nous protégeant de la nuit et du doute, nous aidant à garder la confiance et à grandir dans la charité. Marie nous apprend à vivre le sacerdoce comme un service de l’Eglise et du monde. Avec une âme de pauvre.

Prenez Marie chez vous, en ce jour de votre ordination. Elle vous est donnée pour Mère et vous engendrera à la vie dans l’Esprit Saint. Elle vous aidera à comprendre le sens du sacerdoce, elle qui a été si intimement liée à celui de son Fils. Elle vous aidera à comprendre le cœur des hommes et des femmes vers lesquels vous serez envoyés, à comprendre leurs attentes, à comprendre la soif qu’ils ont de trouver Dieu, d’entrer dans sa communion. Elle vous apprendra à avoir un regard de miséricorde pour les tous les hommes. Amen.

+ Mgr Nicolas Brouwet, Evêque de Tarbes-Lourdes