Textes liturgiques : Ph. 3.20-4,1 Mt 11,25-30
Il y a plusieurs années j’étais de passage au Monastère de Géronde avec plusieurs amis, c’était l’heure de la récréation et toutes les sœurs étaient réunies au parloir dans une ambiance joyeuse et bon enfant. Alors que je me tourne vers sr Élisabeth et dit à mes amis : « Voici ma tante », une sœur s'exclame avec une pointe d’humour « Mais nous sommes toutes sa tante !». Comme pour dire, le neveu de notre sœur est également notre neveu. J’avais trouvé cela très beau et très touchant. Ce que je peux ajouter c’est que, mes sœurs, vous êtes aussi mes marraines dans la prière. Et c’est l’occasion pour moi d’adresser un salut très cordial et très fraternel à toutes les sœurs moniales ici présentes et de vous remercier de votre prière.
C’est pour donner la tonalité de cette célébration que nous vous partageons ces souvenirs heureux. Célébration qui loin d’être un « enterrement » serait plutôt un « enciellement ». En effet, avec sr Élisabeth comme avec tous les authentiques croyants, on ne peut en rester à « l’enterrement», on ne peut se contenter de regarder vers la terre, mais au contraire notre regard se dirige vers le ciel, notre espérance.
Passons maintenant aux lectures que nous avons entendues, dont le choix est très pertinent.
Toutes les deux nous disent quelque chose de ce qui fut la vocation de sr Élisabeth sur cette terre et nous parlent de sa destinée.
Voyons d'abord l'évangile : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange ».
Si, servir et louer Dieu est la vocation de tout chrétien, elle est davantage encore celle d’une moniale, qui plus est cistercienne. Cette vocation monastique se résume d’ailleurs par ces 2 mots latins ora et labora, autrement dit louange divine et travail manuel, dans une vie fraternelle cachée en Dieu, dans le Christ.

Sr Élisabeth a répondu à cet appel bien particulier de ne rien préférer à l’amour du Christ et de le suivre dans la famille monastique de saint Bernard, c’était en 1959.
Soulignons également à propos de l’Évangile que c'est ce même passage, qui est lu lors de la solennité du Sacré Cœur de Jésus et aussi, lors de la solennité de ste Thérèse de l’Enfant-Jésus, du moins dans l’Ordre du Carmel. Ste Thérèse que Pie X, appelait la «plus grande sainte des temps modernes». Ste Thérèse dont l'immense sainteté était cachée même aux yeux des sœurs qui vivaient avec elle.
À tel point qu’une consœur de Thérèse se demandait ce que la Mère Prieure pourrait bien écrire dans la notice biographique, de cette moniale insignifiante qui était en train d’agoniser dans l’infirmerie du Carmel de Lisieux pendant l’été 1897.
« Qu’est-ce qu’on pourra bien dire de sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus ? Elle n’a rien fait ! »
De fait les personnes qui regardent les sœurs moniales contemplatives avec un regard purement superficiel sont parfois tentées également de dire « elles ne font rien ». Et pourtant la vie contemplative a beaucoup de prix aux yeux de Dieu et produit beaucoup plus de bien que l'on ne peut l’imaginer. De fait elle ne peut pas se comprendre d’une manière intellectuelle ou rationnelle. La vie contemplative demande à être regardée avec les yeux de la foi. Car la vie contemplative est une histoire d’amour qui se vit davantage avec le cœur qu'avec la tête. Les moniales ne font certes pas de choses éclatantes aux yeux du monde, en terme de visibilité extérieure, mais elles font beaucoup dans une vie cachée en Dieu, dans le Christ.
Aux yeux de Dieu ce n'est pas tant la grandeur d'une action qui compte que l'amour avec laquelle elle est effectuée. D'ailleurs à la fin de la vie tout disparaît, nous n'emporterons rien avec nous, seul l'amour que nous avons répandu dans notre vie restera. Les moniales ont offert leur vie à Dieu par amour, elle prient, et la prière comprise comme relation d’amour avec Celui dont elles se savent infiniment aimées est d’une importance capitale non seulement pour la personne qui prie, mais également pour le monde entier.
En effet si la prière petit à petit nous rapproche de Dieu, elle rapproche également les autres de Dieu. Car une âme qui s’élève élève le monde. Une âme qui s’élève élève le monde.Telle était la vocation et la mission de sr Élisabeth, mission qu’elle poursuit là où elle est maintenant.

« Nous avons notre citoyenneté dans les cieux, d’où nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus Christ, lui qui transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux ».
Pour nous chrétiens, le Ciel n’est pas à chercher en dessus des nuages. L’Écriture nomme cette réalité, cet état « ciel » car il est hors de nos vues, de nos prises même de notre imagination. Il est simplement tout autre. Mais nous y avons cependant accès par la foi, donc aussi par la prière et les sacrements, dans un contact mystérieux mais bien réel.
Pour terminer j’aimerais vous rapporter un fait observé par de très nombreuses personnes.
Après que, le jour de son décès en la solennité de saint Jean-Baptiste, le corps de sr Élisabeth fut transporté de l’hôpital pour être déposé dans le choeur de l’église du Monastère, un arc-en-ciel vint se poser sur la colline de Géronde, juste à la fin des Complies. L’arc-en-ciel a de tous temps exprimé le lien entre ces deux parties du cosmos constituées par la terre et le ciel. Pour beaucoup de peuples, il est une sorte de pont géant reliant la terre au ciel ce qui lui vaut souvent l’appellation de «chemin vers le ciel».
Quoiqu’on en pense, l’arc-en-ciel est bien l’image de l’éternelle interrogation que les hommes adressent au ciel.
Alors nous aussi, nous sommes invités à tourner résolument nos yeux vers le Ciel parce que là est notre véritable patrie et que là se trouve le point d'unification de notre vie.
Le Ciel voilà notre espérance, notre vocation ultime, là où se trouve la vraie vie, la Vie de Dieu.
Monastère de Géronde le 27 juin 2018