samedi 14 décembre 2019

Homélie en la solennité de saint Jean de la Croix

Chers frères et sœurs,
L’Évangile  que nous venons d’entendre (Jn 17,11; 17-29) était particulièrement cher au cœur de saint Jean de la Croix. Ses biographes nous disent qu’il le récitait souvent, par cœur, sur les routes de Castille et d’Andalousie. Pourquoi ces paroles de Jésus lui plaisaient tant ? Il suffit de les entendre de nouveau pour le comprendre : « Père, dit Jésus, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi ». Jésus demande à son Père de nous introduire auprès de Lui en sa présence. Il demande au Père de nous accueillir de sa vie divine. Saint Jean de la Croix cite ces paroles de Jésus à la strophe 38 de son Cantique spirituel pour nous dire que nous sommes appelés à participer à la vie de la Trinité, nous sommes appelés à respirer le souffle de l’Amour du Père et du Fils : l’Esprit Saint.

Dans cette parole, Jésus demande au Père de réaliser son dessein bienveillant, c’est-à-dire de nous justifier afin que nous puissions être glorifiés avec Lui, comme le disait saint Paul dans la deuxième lecture. Il demande au Père de nous donner, pour reprendre une expression de saint Jean de la Croix, ce qu’il nous avait déjà donné en cet autre jour qui est celui de l’éternité lorsqu’il nous a prédestinés à devenir ses fils, à entrer dans sa gloire.
Le Père, en engendrant son Fils, dans un acte d’amour éternel, pensait aussi à chacun de ses fils, à chacun d’entre nous, il pensait à moi, qui était appelé à faire partie du Corps mystique de l’Église. Comme l’écrit saint Jean de la Croix dans ses Romances, le Père dit à son Fils : « Une épouse qui t’aime, mon Fils j’aimerais te donner » Cet Épouse, c’est l’Église, dont nous sommes les membres… et nous avons été donnés par le Père à son Fils bien-aimé. Le Père nous a remis entre les mains de son Fils. Et le Père et le Fils, en respirant leur amour commun, le Saint-Esprit, dans un acte d’amour éternel, pensaient à tous ceux qui étaient appelés à recevoir ce même Esprit (aussi bien les hommes que les anges) pour les tourner vers le Père et les faire s’écrier, comme le disait saint Paul : « Abba Père »
De toute éternité, nous avons été connus et aimés par les trois Personnes de la Trinité. Et notre vie sur cette terre ne consiste qu’en une une seule chose : accueillir cette grande vérité, le trop grand amour de Dieu pour nous, afin de nous préparer à entrer pleinement, dans le ciel, dans la vie de la Trinité.

La Bonne nouvelle, que souhaite nous annoncer saint Jean de la Croix, c’est que nous pouvons déjà vivre en plénitude de cette vérité, mais dans la pénombre de la foi.
Nous sommes appelés à vivre dès cette terre de la vie intime des trois personnes divines. À chaque acte de foi que nous posons (aussi obscur et imparfait qu’il soit), nous participons, dans le temps et dans l’histoire, à l’engendrement du Verbe éternel par le Père. À chaque acte d’amour que nous faisons (aussi petit qu’il soit : un frère par exemple hier à ranger en premier le lave-vaisselle !) nous participons à la spiration de l’Esprit Saint.
Peut-être que ces choses vous semblent très élevées. Et pourtant, elles sont la réalité la plus réelle de nos existences. Elles sont ce qu’il y a de plus concret dans nos vies. Pour le constater écoutons encore saint Jean de la Croix.
Chaque acte de foi que nous posons nous fait entendre cette Parole que le Père nous cesse de nous dire de toute éternité : « le Père n’a dit qu’une seule parole, et cette parole c’est son Fils, et dans un silence éternel, Il la dit toujours. L’âme doit aussi l’entendre en silence ». À chaque fois que nous portons notre regard sur Jésus, au tabernacle, sur la Croix ou, en ce temps de l’Avent qui nous prépare à Noël, dans la crèche, nous entendons le Père nous dire la parole unique de son Fils : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé écoutez-le ». Nous accueillons Jésus comme Marie. À chaque fois que nous lisons les Saintes Écritures, ou que nous écoutons sa parole dans la liturgie, c’est le Père qui nous parle. Lorsque nous contemplons la beauté de la Création, à laquelle saint Jean de la Croix était très sensible, les belles montagnes de la Suisse ou la pureté de la neige, c’est toujours le Père qui nous parle par son Fils bien-aimé. Et même lorsque nous lisons les journaux, en croyant que Dieu reste le maître de l’histoire, c’est le Père qui nous parle encore. Et cette parole, après l’avoir entendu par la foi, nous pouvons la redire en action de grâce par toute notre vie. Nous pouvons faire de notre vie un chant, un chant de rossignol comme le dit Jean de la Croix, qui soit celui de Jésus à son Père, dans notre vie.
Chaque acte d’amour que nous posons nous fait respirer avec le Père et le Fils leur souffle d’amour qu’est l’Esprit. Et pour cela, nous dit Jean de la Croix, il faut consentir à recevoir cet Amour qui nous vient du Cœur de Jésus. La contemplation pure consiste à recevoir. Si nous cherchons Dieu, Dieu nous cherche bien davantage pour répandre son Amour dans nos cœurs. Pour parler de cette infusion de l’Esprit Saint en nous, Jean de la Croix parle d’une flamme qui doit nous consumer, pour nous embraser sans donner de peine, comme le disait Isaïe, d’un torrent qui doit nous submerger, d’une lumière qui nous illumine, d’un parfum qui nous fait sentir la bonne odeur de Jésus, ou d’un souffle qui nous recrée. Cet amour, nous le recevons à la Messe, à l’oraison, à chaque fois que nous ouvrons les portes de nos cœurs car, nous dit Jean de la Croix, il est comme une lumière qui se répand partout où les fenêtres de nos volontés veulent bien s’ouvrir à elle. Et, en recevant cet amour éternel du Père et du Fils, nous ne pourrons pas faire autrement que de le laisser rayonner à travers nous. Nous le rendrons à Dieu, en action de grâce et nous le communiquerons à nos frères sans même nous en rendre compte. Nous pouvons recevoir l’Esprit mais aussi le donner. Voilà la bonne nouvelle que saint Jean de la Croix a la mission de nous annoncer.

Revenons sur les chemins de Castille et d’Andalousie lorsque Jean répétait ces paroles de Jésus que nous venons d’entendre. Probablement les disait-il aussi avec Jésus, uni à lui. Probablement priait-il lui le Père pour tous les fils qu’il aurait à conduire, par sa doctrine, jusqu’à Jésus. Jean de la Croix priait pour nous. Jean de la Croix prie aujourd’hui pour chacun d’entre nous. Son image, sous l’autel, nous le rappelle. Recevons donc toutes les grâces que Jésus souhaite nous donner aujourd’hui par sa prière. Amen.

Fr. Baptiste de l'Assomption, 14.12.2019