![]() | ||
< Cliquer sur la photo. > |
« Femme voici ton fils. Voici ta mère.»
- Au Golgotha, alors que l’Eglise épouse est en train de naître du côté transpercé de l’époux, Jésus confie le prêtre Jean à Marie et Jean prend Marie chez lui.
Aujourd’hui, alors que vous êtes ordonnés prêtres, en ce sanctuaire de Lourdes, on pourrait dire que, de manière toute particulière, vous êtes confiés à Marie et invités à la prendre chez vous.
Je me souviens qu’en 1990, quelques mois après la chute du rideau de fer, un prêtre des pays de l’Est qui avait vécu dans la clandestinité, apprenant que j’étais séminariste m’avait dit : ce qui m’a fait tenir, comme prêtre, ce sont l’Eucharistie et Marie.
Marie est la mère des prêtres. Parce qu’elle a une prédilection pour ses fils qui sont configurés à son Fils prêtre et Bon Pasteur. Et parce qu’elle a suivi Jésus jusqu’à la croix, elle nous apprend à contempler Jésus offert pour réconcilier l’humanité avec Dieu.
Nous ne pouvons pas vivre notre appel au sacerdoce sans contempler profondément Jésus dans sa façon d’être prêtre. Dans sa disponibilité intérieure pour ceux qui s’approchent de lui, dans son amour pour les pécheurs qu’il veut ramener au Père comme le berger de la Parabole, dans sa compassion pour les pauvres et ceux qui souffrent, dans sa façon de prêcher l’Evangile du royaume, dans son intimité avec le Père, dans l’offrande qu’il fait de lui-même dans le feu du Saint-Esprit. Marie nous apprend cela ; à vivre avec Jésus, à apprendre de lui à devenir prêtre dans toute notre vie, dans tout notre être.
Parce que si vous êtes prêtres le jour de l’ordination, de manière objective par l’imposition des mains de l’évêque et la prière consécratoire, il faut aussi que vous appreniez à le devenir de façon subjective, dans toute votre existence personnelle. Et vous le deviendrez accompagnés par Marie, première Eglise, première disciple de son fils.
Marie se tient près de nous comme elle s’est tenue présente, debout, à la croix, au moment où Jésus grand prêtre offrait sa vie pour le salut du monde. Elle participait mystérieusement à son offrande, « juxta crucem lacrimosa », toute en pleurs près de la croix, épouse souffrante avec l’époux, n’abandonnant pas son poste, même au moment des cris et des larmes du Prêtre éternel livré pour que nous ayons la vie. Marie est toujours là, auprès de nous, même dans les moments les plus éprouvants de notre ministère. Souvenez-vous-en. Vous l’avez prise chez nous et elle vous a été donnée pour mère. Cette promesse du Seigneur n’est pas vaine.
- Mais Marie, à nos côtés dans notre vie sacerdotale, fait autre chose : elle nous apprend à n’être pas seulement du côté du Christ qui sauve, qui donne la grâce, mais aussi du côté de l’Eglise qui la reçoit pour elle-même.
La tentation du prêtre qui a pour mission d’être signe du Christ Pasteur au milieu de la communauté, est de penser qu’il n’est plus un fidèle comme les autres et que, s’il dispense la grâce par le moyen des sacrements, il n’en a plus besoin pour lui-même. Comme si, par l’ordination, il était passé de l’autre côté du miroir.
Mais un prêtre est d’abord et avant tout un baptisé qui a besoin de cultiver en lui la grâce du baptême par la prière, la réception des sacrements, l’écoute de la Parole de Dieu, la confession, le discernement dans l’Esprit, l’écoute des conseils de ses frères et sœurs. Un prêtre doit, peut-être plus que tous les fidèles, travailler sur lui-même pour accueillir toujours plus largement la grâce du Saint-Esprit comme un mendiant.
L’Immaculée nous apprend justement à accueillir la grâce. Si Marie est comblée de grâce, c’est parce qu’elle est vide de tout ce qui n’est pas la grâce. Elle se dispose sans cesse à accueillir le don de Dieu ; elle est toute disponible à sa Parole. Et un prêtre apprend cela d’elle. Il apprend d’elle à trouver sa joie dans le salut qui lui est offert et à chanter le Magnificat pour les merveilles que Dieu réalise dans sa vie. Il apprend d’elle à se laisser façonner par le Seigneur, à redire son « oui », son fiat, tous les jours de sa vie. A être une terre qui reçoit la semence de la Parole pour porter du fruit.
Un prêtre apprend de Marie à accueillir la grâce pour pouvoir justement la donner. Evidemment les dons de Dieu ne dépendent pas de la sainteté du prêtre par qui ils sont donnés. Mais quelle est la fécondité d’un prêtre qui ne commencerait pas par accueillir le salut pour lui-même, qui ne commencerait pas s’ouvrir à Dieu et se laisser évangéliser par le Saint-Esprit ?
- Marie nous enseigne encore autre chose. Femme, mère, elle nous apprend, à nous les prêtres, à ne pas être seulement du côté de la paternité qui dit la loi et la fait respecter, la paternité qui gouverne en donnant sa direction à la communauté. Elle nous enseigne à nous tenir aussi du côté de la maternité, la maternité qui engendre la vie. Le ministère d’un prêtre est aussi un engendrement. Parfois dans la douleur. Cette dimension du ministère d’un prêtre est plus féminine, maternelle. Elle est le visage de l’Eglise qui accueille chacun pour ce qu’il est, qui sait voir l’exception, là où l’homme s’attache à la règle, qui voit la fragilité et qui en prend soin là où l’homme cherche davantage l’efficacité, là où il est rassuré par ce qu’il produit, par ce qu’il peut chiffrer.
Marie, à Lourdes, rappelle cela aux prêtres : l’accueil d’une mère. Son sourire à Bernadette parle de la miséricorde du Père ; la miséricorde qui patiente et qui donne du temps pour avancer, pour progresser ; la miséricorde qui voit le bon grain avant de voir l’ivraie ; la miséricorde qui pardonne, qui relève, qui encourage. Marie Immaculée nous apprend à avoir un regard de tendresse là où nous serions enclins à donner le visage de l’autorité. Elle humanise notre façon d’exercer le ministère sacerdotal.
Il y une autre dimension de notre mission que nous approfondissons dans le mystère de la maternité de Marie, c’est la communion. Le prêtre est tout particulièrement en charge de l’unité, de la communion entre les fidèles auxquels il est envoyé et de ces fidèles avec le reste de l’Eglise. C’est une mission qui peut être extrêmement lourde parce que le prêtre se trouve aux carrefours des tensions qui animent sa communauté. Il ne pourra jamais totalement les résoudre, les réduire. Il doit alors les porter, vivre, exercer son ministère au milieu d’elles, sans pouvoir trouver de solution. Voilà pourquoi il vit à l’ombre de la croix.
Je suis toujours étonné de voir combien Lourdes est un lieu d’unité pour l’Eglise. On y rencontre des catholiques de tous les horizons culturels et spirituels. Mais chacun semble se retrouver chez lui au pied de la grotte. Comme si, devant sa mère, on se sentait accueilli pour ce qu’on est, on se sentait compris, aimé tendrement, et qu’on en oubliait ce qui nous sépare, ce qui nous divise.
Marie nous enseigne, à nous, les prêtres, chargés de l’unité, cette disponibilité du cœur qui accueille tous ceux qui viennent. Cette disponibilité est un fruit de la chasteté et du célibat parce que le cœur de Marie n’est encombré de rien de ce qui n’est pas Dieu, de ce qui n’est pas la grâce. Notre-Dame n’a rien à elle parce qu’elle est libre de tout attachement. N’ayant rien à défendre, rien à prouver, rien à protéger, même pas son image aux yeux des autres, elle est totalement disponible pour accueillir celui ou celle qui se présente en lui faisant toute la place qui lui est nécessaire.
La maternité de Marie est universelle. Et c’est à son école que nous nous trouvons, nous les prêtres, pour que notre cœur, libéré et disponible, soit un ferment d’unité.
Nous confions votre ministère de prêtre à Notre-Dame. Un jour, jeune prêtre, j’étais à l’aéroport de Toulouse. Je prenais l’avion pour rentrer à Paris après un camp scout. C’était bien avant le 11 septembre et toutes les précautions de sécurité qu’on prend maintenant. Je passe le portique. J’avais de grosses chaussures de marche qui l’ont fait sonner. On me demande de déposer sur la machine tout ce que j’ai dans mes poches. J’aurais pu être un terroriste déguisé en prêtre. Je dépose mon mouchoir et mon chapelet. Et quelqu’un dans la file derrière moi crie au garde : « Laissez-le passer ; c’est un vrai, il a un chapelet. » Et le garde m’a fait signe de passer. On pouvait douter de mon col romain ; pas de mon chapelet ! Il est le signe que nous avons Marie pour mère et que nous l’avons prise chez nous, dans notre vie de prêtre.
Que Marie, notre mère, mère de l’Eglise et mère des prêtres, vous accompagne dans votre ministère de grâce. Amen.