Ez 18,25-28 – Ps 24 - Ph 2,1-11 – Mt 21,28-32
Frères et sœurs, la petite parabole, qui nous est proposée par Jésus ce matin, est adressée aux classes dirigeantes de l’époque de Jésus, à savoir « les chefs des prêtres et les anciens » et se situe dans un contexte très polémique : Jésus vient de chasser les vendeurs du Temple…
Les autorités de Jérusalem indignées lui demandent de quel droit, il a fait ce geste provocateur. C’est alors, selon la rédaction de Matthieu, que Jésus répond par 3 paraboles : les deux fils…(que nous venons d’entendre), les vignerons homicides… et les invités au festin nuptial (que nous entendrons au cours des 2 prochains dimanches).
La Passion est maintenant toute proche et Jésus est hanté par l’idée qu’il va être rejeté par ceux-là même qui auraient dû l’accueillir. Mais, frères et sœurs, vous comprendrez bien que nous ne pouvons pas en rester à cette interprétation « historique ». Il serait injuste d’appliquer ces paraboles évangéliques seulement aux autres. C’est bien à chacun de nous que les paroles de Jésus s’adressent aujourd’hui.
À l’écoute de cette parabole des deux fils, notre première réaction est de trouver bien grossier cet enfant qui parle à son père avec une telle désinvolture. Et puis, nous le trouvons sympathique lorsqu’il change d’avis honnêtement et va accomplir la volonté de son père.
Jésus en nous proposant cette histoire toute simple, ne donne aucune explication psychologique. Il nous montre seulement quelqu’un qui « change »… et « qui se convertit »… Et c’est déjà bien une révélation réconfortante pour nous.
Le monde moderne, les courants de pensée actuels, les médias, tentent de nous faire croire que nous sommes « conditionnés » et comme définitivement enfermés par des déterminismes qui nous enlèvent toute responsabilité et toute liberté. Il est tellement avantageux de mettre nos échecs, nos déficiences sur le compte de la société, de notre tempérament…, des autres en somme !
Jésus, au contraire, nous ramène à notre responsabilité en nous répétant que les jeux ne sont jamais faits d’avance. Quel que soit notre passé, quels que soient nos refus précédents… un changement est toujours possible. Jésus est celui qui, jamais, n’enferme quelqu’un dans son passé ; Il est celui qui donne sa chance à tout homme, même le plus pécheur… Rappelons-nous, le Bon Larron, « aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis » (Luc 23,43).
Ainsi, Jésus nous révèle qu’il nous voit toujours « en devenir ». Dans nos difficultés actuelles, Il voit, Lui, l’homme nouveau qui va, peut-être, advenir. Demandons au Seigneur Jésus de nous communiquer l’espérance qui habite son cœur sur nous-mêmes et sur chacun de nos frères. Que nous n’enfermions jamais nos frères dans ce qu’ils sont, mais que nous les gardions dans l’espérance de ce qu’ils peuvent advenir avec la grâce de Dieu.
Toutefois, nous devinons déjà que Jésus a une autre idée derrière la tête en nous proposant le second fils. C’est sur lui que l’accent est mis. Le contraste est bien volontairement mis en évidence par Jésus. Et dans le contexte polémique de notre passage d’évangile, c’est bien les chefs des prêtres et les anciens qui sont visés. Mais c’est à nous aussi que la question est posée ce matin.
Jésus nous met au pied du mur. Ce sont nos actes qui comptent, et pas seulement nos bonnes inspirations. Sous cet aspect, Jésus est très moderne : le monde actuel admire l’efficacité. On se défie des beaux parleurs qui ne font que nous griser par des déclarations vides. Les idéologies théoriques sont toutes en perte de vitesse. On juge les promesses aux résultats effectifs. Mais, encore une fois, ne jugeons pas les autres. Ce « deuxième » fils nous ressemble bien parfois.
Nous voilà bien averti : il importe moins de « dire » que de « faire ». On ne trompe pas Dieu. « Ce ne sont pas ceux qui disent : Seigneur, Seigneur… qui entreront dans le royaume des cieux, mais ceux qui font la volonté de mon Père qui est aux cieux » (Mt 7,21)
Enfin, Jésus nous dit … « Amen, je vous le déclare : les publicains et les prostituées vous précèdent dans le Royaume de Dieu. »
Dans la bouche de Jésus : « Amen, je vous le déclare » est toujours une formule solennelle pour annoncer quelque chose de très important. Or, la prise de position de Jésus est surprenante et Il n’a pas peur de friser le scandale. Comment peut-il donner en exemple les « pécheurs professionnels », les pécheurs publics ? Les publicains, ces personnes compromises avec le monde et l’argent ? Les prostituées, ces personnes compromises avec le monde et la chair ?
Jésus veut simplement mettre l’accent sur l’importance de la « conversion ». Le pire péché est la suffisance : se passer de Dieu ! Ne pas avoir besoin de Lui. Et nous savons qu’au temps de Jésus ceux qui se croyaient « justes », n’ont pas eu, effectivement, besoin de ce salut que Jésus offrait. Mais les pécheurs et les pécheresses ont couru vers Jésus comme vers leur sauveur.
Péguy a merveilleusement dépeint cet aspect du péché qui, étant un mal en lui-même, devient un point de « mouillage » pour la Grâce :
« On a vu la Grâce pénétrer une âme perverse, et on a vu sauver ce qui était perdu. Mais on n’a pas vu traverser ce qui est « imperméable »… Les honnêtes gens ou enfin ce qu’on nomme tels n’ont point de défauts dans leur armure… Parce qu’ils ne manquent de rien, on ne leur apporte rien ».
Frères et sœurs, est-ce que, comme les pécheurs dont parle Jésus, je sais retourner mes péchés en occasion mystérieuse de désirer la grâce qui me sauve de mes limites ? Est-ce que je juge de l’extérieur les autres au lieu de leur donner leur chance comme Jésus nous le montre dans l’évangile. « Les pécheurs publics vous précèdent dans le Royaume ». Quels sont ces gens dont parle Jésus et qu’Il désigne par « vous » ? Quels sont ces gens qui se croient justes et qui seront écartés du Royaume de Dieu ? Ne serais-je point de ceux-là, parfois ?
Alors, frères et sœurs, tandis que la parabole des « deux fils » insistaient sur le contraste entre le « dire » et le « faire »… entre le « oui » des lèvres et le « non » des actes… la conclusion de Jésus met l’accent sur le contraste entre « croire » et « ne pas croire »…
Une fois de plus, à travers les contemporains de Jésus, c’est nous qui sommes interpellés. Que ce soit à travers la prédication de Jean-Baptiste ou celle de Jésus, c’est toujours Dieu qui nous demande de lui dire le « oui » de notre foi « agissante ». Et ce « oui » de la foi est souvent une « conversion », un retournement de vie.
La foi dans l’évangile n’est pas d’abord l’adhésion de l’intelligence à des vérités qu’il faut croire. C’est plutôt l’adhésion de la volonté à une volonté divine qui nous interpelle : « va travailler AUJOURD’HUI à ma vigne ! ».
Il y a un mot capital dans notre foi chrétienne et que l’on dit peut-être parfois de manière trop distraite, c’est le mot « amen ». Ces « amen » qui signifient précisément ces « ouis » dans les actes que nous devrions dire à Dieu, disons-les bien désormais chaque dimanche pour les mettre en pratique durant la semaine… Car, nous dit St Paul, le Fils de Dieu, le Christ Jésus, n’a pas été « oui et non », il n’a été que « oui »… Aussi est-ce par Lui, que nous disons à Dieu notre « amen », notre « oui », pour sa gloire. AMEN.
Fr. Jean-Marie-Joseph