dimanche 27 décembre 2020

Homélie du dimanche 27 décembre 2020 – La Sainte Famille

Frères et sœurs, trois couples s’offrent à notre méditation ce matin ; Sara et Abraham où la foi est mise à l’épreuve ; Marie et Joseph où la parentalité est exercée au nom de Dieu et enfin Anne et Syméon où la fécondité de la vie consacrée nous est rappelée.

1. Alors commençons par Sara et Abraham, ce couple âgé sans enfant.

À bien y regarder, Dieu et Abraham semblent, au début du récit, parler de réalités différentes : Dieu évoque une grande récompense, mais Abraham souhaite simplement un fils. Dieu lui concède ce fils, mais au-delà de cette réalité humaine, il l’invite à prendre de la hauteur, à regarder vers le ciel et à voir plus grand : sa descendance spirituelle sera bien supérieure à sa descendance humaine. Dieu lui promet une terre, celle où se scelle l’alliance avec le peuple saint, et lui ouvre un horizon infini. Abraham croit mais ne comprend pas encore.

Dans nos familles, nous sommes en quelque sorte appelés à faire le même chemin spirituel. Nous avons légitimement le désir de familles heureuses et unies et nous souhaitons des enfants, mais en suivant quel projet ? Le nôtre ou celui de Dieu ? Nous pouvons nous demander ce que nous voulons pour notre conjoint, si nous souhaitons un compagnonnage humain au service de projets limités à cette vie, ou si nous recherchons une communion et un don de notre personne en vue du Royaume. De même pour nos enfants : nous sommes peut-être d’abord préoccupés, comme Abraham, d’avoir des héritiers à qui transmettre nos goûts, nos idées, et dont la réussite nous comblera. Dieu nous appelle en réalité à faire d’eux des héritiers du Ciel, qui réaliseront leur vocation particulière et unique, même si elle nous dérange.

Les évolutions actuelles posent aussi aujourd’hui des questions plus vastes et plus brûlantes: l’institution familiale est-elle au service de l’homme, modulable à notre convenance, pourvu que nos projets et désirs humains se réalisent, comme le pensait Sara en « prêtant » Agar ? Ou bien l’avons-nous reçue de Dieu, et continuons à la recevoir, dans la complémentarité homme / femme, le rôle de père et de mère, dans l’autorité naturelle sur les enfants, et pour un engagement définitif ?

Isaac, l’enfant de la Promesse, donné par Dieu et selon son plan, pour être l’héritier non pas seulement des biens d’Abraham mais de la promesse de Dieu, est l’enfant du Sourire (Isaac est construit sur la racine “rire”). Abraham éclate de rire devant l’énormité du miracle (17,17)… Sara rit - avec une nuance de doute - en écoutant aux portes (18,12) ; elle rit encore lors de la naissance en pensant aux commérages : « Dieu m ’a donné de quoi rire, tous ceux qui l’apprendront me souriront » (21,6).

Ainsi, Dieu rit avec sa créature préférée, avec ces enfants des hommes qui sont si lents à la foi. Les méandres de notre histoire sont les chemins de sa Providence. Combien de tours dans ce sac divin et combien de temps pour que nous levions les yeux vers le Ciel et que nous passions de notre propre vision humaine à celle de Dieu !

Ainsi, le sourire du Père s’étend sur l’humanité par la bénédiction d’Abraham ; les épreuves continuent, certes, mais la figure d’Isaac est là pour nous rappeler que tout est don, que tout est reçu, et que le rire est plus franc lorsqu’il succède à la peine.

2. Joseph et Marie : vivre heureux sous la loi

Un autre couple, tout jeune cette fois-ci, a reçu le don d’un enfant : Joseph et Marie se sentent bien à l’ombre du Temple, sous la Présence du Très-Haut à qui ils viennent lui rendre le Premier-né. Ils le font d’autant plus facilement qu’ils connaissent l’origine de cet enfant et qu’ils ont accepté de bouleverser tous leurs projets humains pour l’accueillir ; ils savent qu’à travers leur humble collaboration, le dessein inouï de Dieu est en train de s’accomplir. Leur foi et leur obéissance sont totales et joyeuses.

Après l’offrande des deux tourterelles, Joseph reçoit de nouveau Jésus, il devra devenir pour cet enfant l’image du Père céleste à travers l’éducation et l’exemple. Un mystère si profond qu’il est voilé par le silence de l’Évangile.

Nous aussi, nous donnons la vie biologique à nos enfants et revenons, dans l’action de grâces, les rendre à Dieu, le vrai Père ; nous les faisons renaître de l’Esprit par le baptême. Chacun de nos enfants

rentre alors dans une famille plus grande que la famille naturelle, celle de l’Église, et y reçoit une multitude de frères. Nous recevons alors une créature nouvelle, appelée à la sainteté, et qui est bien plus que notre propre enfant : il ne s’agit pas moins que d’un fils (ou fille) de Dieu. Nous sommes appelés à exercer envers lui - le père surtout - une autorité par délégation, au nom du seul vrai Père.

La fête de ce jour nous appelle à réfléchir sur notre manière d’être parents, et en particulier d’être père : le témoignage doit être exemplaire, l’autorité doit être ferme et douce, elle doit former et éduquer la liberté, elle doit sans cesse renvoyer à Dieu et à la découverte de la vocation personnelle. Mission impossible ? Pensons à saint Joseph, bien au-dessous d’une vocation aussi sublime que d’éduquer le Fils de Dieu lui-même, dans son humanité.

Marie aussi avance dans le Mystère. La prophétie de Syméon l’atteint en ce moment inattendu, et introduit une note d’angoisse dans l’atmosphère de liesse et d’émerveillement qui règne au Temple ; elle se souvient alors probablement de l’histoire étrange d’Abraham et d’Isaac le bien-aimé, réclamé par Dieu en sacrifice (Gn 22). Ce drame avait eu lieu sur le mont Moriya... la colline où le Temple est bâti, où ils portent à présent Jésus !

Marie et Joseph sont ainsi animés par la foi, et nous montrent le chemin pour être de vrais parents croyants.

Même si les pères le vivent aussi, la proximité affective qui lie les mères à leurs enfants les rend vulnérables : les difficultés, les tristesses, la maladie voire les errements de leurs enfants les touchent de plein fouet. Leur disponibilité intérieure les rend inquiètes et sensibles à tout ce qui les touche. Certaines vivent, comme Marie, l’épreuve mystérieuse et apparemment scandaleuse du deuil. En tout cela, Marie les accompagne. Par la foi, le regard de Marie - comme celui d’Abraham et de Sara - se projette au-delà de l’épreuve, au-delà de la Croix, vers la Patrie bienheureuse ; ou plutôt, à travers la Croix, vers la Résurrection : per Crucem ad lucem.

Au pied de la Croix, Marie offrira Jésus en sacrifice, et il lui sera rendu le matin de Pâques…

3. Syméon et Anne : L’Esprit rend libre

Enfin, un dernier couple fait irruption dans la narration de Luc : Syméon et Anne. Ils n’étaient pas attendus, ni prévus par la Loi mais la foi les guide et l’Esprit-Saint les attire irrésistiblement au Temple. Leur attitude prophétique - un peu extravagante - tranche avec celle plus rangée de Marie et Joseph, absorbés par la profondeur du mystère de Jésus…

À quoi conduit cette liberté dans l’Esprit ? Pour Anne, c’est l’envoi en mission : peu importent ses quatre-vingt-quatre ans, elle se met à parler de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.

Pour Syméon au contraire, c’est l’abandon total : la Promesse est accomplie en faveur d’Israël, il peut donc s’en aller en paix. Confiance du juste qui arrive à la fin de sa course…

Abandon et mission sous l’emprise de l’Esprit : les deux caractéristiques de la vie consacrée dans l’Église. Ces deux personnages qui n’étaient liés que par l’espérance d’Israël, n’avaient pas d’enfant ; mais Jésus s’est fait leur enfant. Là encore, mystère de l’enfant donné et reçu. Dans nos familles, les vocations consacrées ne sont-elles pas d’ailleurs comme Isaac, un sourire de Dieu à travers les épreuves pour une fécondité différente et surprenante ?

Ces vocations viennent nous rappeler que la fécondité spirituelle est plus grande que la fertilité humaine ; elles montrent également que la paternité, ou la maternité, habite toute vie, que ce soit par l’éducation ou l’évangélisation des personnes qui nous entourent, ou par le travail pour faire advenir un monde meilleur.

La fête de ce dimanche est une excellente occasion de sanctifier nos familles. Si nous vivons en famille, nous pouvons prendre une résolution concrète ; si nous vivons dans un autre état de vie, nous pouvons essayer d’épauler les familles que nous connaissons, par notre écoute, nos prières et nos sacrifices. Amen. 

Fr JMJ