Jb 7,1…7 – Ps 146 - 1 Co 9,16…23 - Mc 1,29,39
Frères et sœurs, l’évangile que nous venons d’entendre nous est bien connu. Situé au tout début du ministère public de Jésus, ce passage nous raconte une journée de Jésus à Capharnaüm. Il se situe dans la continuité immédiate de notre évangile de dimanche dernier où Jésus avait ni plus ni moins procédé à un exorcisme en pleine synagogue. L’évangéliste Marc continuera de montrer tout au long de son évangile la puissance de Jésus face au démon. Toutefois, permettez-moi ce matin de m’arrêter sur un verset de notre évangile, moins spectaculaire mais non sans importance, afin d’en mieux comprendre le sens et l’enjeu.
« Jésus se leva bien avant l’aube. Il sortit et se rendit dans un endroit désert, et là, il priait » (v.35)
L’évangéliste Marc nous informe que les disciples furent surpris de la disparition de Jésus pendant la nuit : pourquoi s’était-il retiré alors que tant de travail apostolique l’attendait, que tant de succès montrait au monde l’avènement du Royaume des Cieux ? « Tout le monde te cherche » (v.37) : l’humanité souffrante a besoin du Christ, hier comme aujourd’hui ; un Christ qui agit, par l’enseignement et la guérison ; mais pourquoi un Jésus en prière, lui qui est Fils de Dieu et ne semble pas avoir besoin d’établir un lien avec Dieu ? Par la prière, chacun de nous cherchons à combler la distance qui nous sépare du Père ; mais dans le cas de Jésus, Il n’a pourtant rien à combler ? Le catéchisme nous l’explique :
« Jésus se retire souvent à l’écart, dans la solitude, sur la montagne, de préférence de nuit, pour prier (cf. Mc 1, 35 ; 6, 46 ; Lc 5, 16). Il porte les hommes dans sa prière, puisque aussi bien il assume l’humanité en son Incarnation, et il les offre au Père en s’offrant lui-même. Lui, le Verbe qui a « assumé la chair », participe dans sa prière humaine à tout ce que vivent « ses frères » (He 2, 12) ; il compatit à leurs faiblesses pour les en délivrer (cf. He 2, 15 ; 4, 15). C’est pour cela que le Père l’a envoyé. Ses paroles et ses œuvres apparaissent alors comme la manifestation visible de sa prière « dans le secret ». » (CEC - n°2602)
Le catéchisme nous offre ainsi une clé pour pénétrer un petit peu dans ce grand mystère qu’est la prière de Jésus : elle n’est pas une fuite de ses frères, bien au contraire, elle est le lieu où il les porte devant son Père… Marc exprime très concrètement ce retour à la source par le mouvement de « sortir » : Jésus « sortit dans un endroit désert » (v.35), pour aller prier. Jésus est sorti du Père (Jn 16, 28) pour s’incarner, mais la plénitude de son être est dans la vie trinitaire. Aussi sort-il régulièrement du vacarme du monde pour retrouver cet amour qui l’habite, cette union avec le Père.
Une grande sainte contemplative, Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix, nous décrit la valeur de ses nuits en prière : « Les évangiles », nous dit-elle, « font des références plus nombreuses encore à sa prière solitaire dans le silence de la nuit, sur les sommets sauvages des montagnes, dans les endroits déserts. Quarante jours et quarante nuits de prière ont précédé la vie publique de Jésus. Il s’est retiré dans la solitude de la montagne pour prier avant de choisir ses douze apôtres et de les envoyer en mission. À l’heure du mont des Oliviers, il se prépara à aller jusqu’au Golgotha. Le cri qu’il poussa vers le Père en cette heure la plus pénible de sa vie nous est dévoilé en quelques brèves paroles. Ces paroles brillent comme des étoiles dans nos propres heures au mont des Oliviers. « Père, si tu veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne » (Lc 22,42). (Elles) Ses paroles sont comme un éclair qui illumine pour nous un instant la vie la plus intime de l’âme de Jésus, le mystère insondable de son être d’homme-Dieu et de son dialogue avec le Père. Ce dialogue a certainement duré toute sa vie, sans jamais s’interrompre. Le Christ priait intérieurement non seulement lorsqu’il se retirait à l’écart de la foule mais aussi lorsqu’il demeurait parmi les hommes. » (Source cachée, p.62)
Frères et sœurs, Jésus, dans son humanité, a besoin du contact avec le Père : il a besoin de se plonger dans cette source qui jaillit au plus profond de sa personne ; il doit laisser sa divinité prendre toute la place dans son humanité, et c’est le but de sa prière.
Un mystère qui nous dépasse, celui d’une désappropriation totale de la nature humaine pour que ce soit Dieu qui agisse en lui, et que le Catéchisme, encore une fois, nous explique ainsi :
« Parce que dans l’union mystérieuse de l’Incarnation "la nature humaine a été assumée, non absorbée" (GS 22, § 2), l’Église a été amenée au cours des siècles à confesser la pleine réalité de l’âme humaine, avec ses opérations d’intelligence et de volonté, et du corps humain du Christ. Mais parallèlement, elle a eu à rappeler à chaque fois que la nature humaine du Christ appartient en propre à la personne divine du Fils de Dieu qui l’a assumée… Le Fils de Dieu communique donc à son humanité son propre mode d’exister personnel dans la Trinité. Ainsi, dans son âme comme dans son corps, le Christ exprime humainement les mœurs divines de la Trinité (cf. Jn 14, 9-10). » (CEC – n°470)
En fait, comprenons bien, frères et sœurs, que ce lien intrinsèque qui unit Jésus à son Père, vient nous enseigner très clairement sur l’union intime qu’il nous faut développer et faire grandir entre nous et le Seigneur Jésus. Mais comment réaliser cette union de notre personne avec celle du Verbe ? Les nombreuses guérisons et exorcismes, en ce début de l’évangile de Marc, sont plus que des miracles du passé : ils figurent ce qui arrive à notre âme lorsque le Christ entre dans notre vie.
Laissons donc entrer le médecin dans notre vie, confions-lui nos maux comme Job les exprimait dramatiquement dans la première lecture. Nous pourrions nous boucher les yeux, refuser de voir tout ce qui nous détourne de Dieu ; mais le Christ est patient et veut tout à la fois nous montrer l’étendue de notre misère, et y remédier par sa Miséricorde. Et, même si nous avons déjà reconnu, par la confession, la gravité de nos fautes, il y a toujours des domaines de notre « moi intérieur » que nous essayons de soustraire à son emprise : nous fuyons un Dieu qui ne veut rien moins que l’offrande totale de toute notre personne. Nous cherchons la sainteté dans l’exercice des vertus ou dans les mortifications ou dans la charité extérieure ; mais elle ne se trouve que dans « l’invasion divine », cette prise de possession totale de Dieu qui faisait dire à saint Paul : « Ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi » (Gal 2,20).
Au XVIIe siècle, sous la plume du fondateur de St Sulpice, Mr Olier nous dit ceci : « Il faut beaucoup tendre à cette union secrète et divine qui met en nous notre Dieu et nous pénètre de lui, nous faisant tous parfaits en lui. Si bien qu’étant rétabli en nous, se répandant et s’expliquant en nous, il ait comme anéanti tout notre être et qu’il n’y ait que ses perfections divines en nous … » (L’âme cristal, …, Seuil 2008,p.68)
Frères et sœurs, rassurons-nous : cette œuvre n’est pas la nôtre, elle est d’abord celle du Christ qui vient nous sauver ; nous ne faisons que répondre à son invitation, qu’acquiescer à sa venue toujours plus profonde. Dans l’évangile, c’est bien le Christ qui entre dans la maison de Simon-Pierre, c’est lui qui décide d’opérer une guérison, et c’est encore lui qui est au centre de toute l’action. Les apôtres ne font que collaborer avec lui, et la belle-mère de Simon-Pierre en reçoit tout le bénéfice, comme nous encore aujourd’hui quand nous le laissons entrer et purifier nos coeurs.
Permettez-moi de terminer cette petite méditation sur la prière de Jésus en reprenant un extrait d’une prière de sainte Faustine, celle d’une âme qui attend le Christ médecin : « Je t’attends, Seigneur, dans le calme et le silence, … Je sens que mon amour pour toi se change en brasier … Viens donc enfin – mon très doux Seigneur et emporte mon cœur assoiffé là-bas chez toi, dans les hautes contrées des cieux où règne éternellement ta vie ! » (Petit Journal, n°1588) Amen.
Fr. Jean-Marie-Joseph