lundi 28 juin 2021

Homélie du dimanche 27 juin 2021 – 13e TO

Sg 1,13-15 ; 2,23-24 - 2 Co 7.9.13-15 - Mc 5,21-43

Frères et sœurs, la lecture du livre de la Sagesse a sans doute pu vous surprendre ce matin lorsque l’auteur inspiré de ce livre nous dit que « La puissance de la Mort ne règne pas sur la terre, car la justice est immortelle. » Notre expérience douloureuse ne nous crie-t-elle pas le contraire ?

« L’auteur du livre de la Sagesse se heurte au problème du juste qui meurt sans recevoir de récompense. Il explique que, persécutés sur terre, les âmes vertueuses jouissent d’une tranquillité parfaite auprès de Dieu et seront ré­compensées au jour du Jugement. [...] Il veut faire comprendre à ses lecteurs que la vie des justes ne s’arrête pas avec la mort physique, mais qu’elle se prolonge éternel­lement et glorieusement auprès de Dieu. À l’inverse, les impies, par leur conduite, renoncent dès à présent à l’immortalité ; ils sont en quelque sorte déjà morts. Pour l'auteur, l’immortalité n ’est pas une notion abstraite qui s’applique indifféremment à tous : elle s’attache à l’âme des justes. » (Bible TOB – Introduction au livre de la Sagesse)

De la même manière, la vie est bien plus qu’une réalité physique. Notre première lecture est donc à comprendre comme une louange au Dieu de la vie, au Créateur qui a déposé en l’homme la capacité de devenir bon, c’est-à-dire de vivre en plénitude comme Dieu. Le mal que nous constatons est une blessure grave faite au dessein d’amour de Dieu, mais une blessure limitée et passagère qui ne saurait mettre en échec la puissance divine. La puissance de la Mort est circonscrite ; elle n’est pas du même niveau que Dieu, et le mal n’aura jamais le dernier mot…

13e TO B
Frères et Sœurs, les convictions de foi du Livre de la Sagesse vont nous permettre de mieux saisir le sens du double miracle accompli par Jésus dans l’évangile : la guérison de l’hémorroïsse et la résurrection de la fille de Jaïre (Mc 5). Jésus est la Sagesse qui vient en ce monde ; il est aussi le Fils de Dieu qui vient partager la condition de l’humanité et la trouve blessée, en proie à des maladies, des possessions diaboliques et des souffrances : la « puissance de la Mort » ne règne-t-elle pas sur la terre ?

Le récit de Marc associe étroitement les deux femmes : l’une est âgée et souffre seule, l’autre est toute jeune, sous la tutelle de ses parents qui souffrent tout autant qu’elle. Elles sont toutes deux frappées par la maladie, et ce que nous savons d’elles éloigne automati­quement tout soupçon de châtiment pour le mal accompli, cette idée très présente au temps du Christ et qu’Il réfute. Rappelons-nous l’épisode de l’aveugle-né :

« ‘Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? ’ Jésus répondit : ‘Ni lui, ni ses parents n’ont péché mais c'est afin que soient manifestées en lui les œuvres de Dieu.’ » (Jn 9, 2-3)

Ces deux femmes sont plutôt présentées comme des victimes innocentes : l’hémorroïsse est « guérie de son mal » (v.29 et 34), qui la martyrise « depuis douze ans », avec en plus la perte de tout son avoir par l’action inutile de médecins incapables de la guérir. L’autre est une fillette de douze ans, entourée de la tendresse de sa famille, et ses parents semblent des croyants sincères. Ni l’une ni l’autre n’ont évidemment « pris parti pour le diable », selon l’expression de la première lecture.

Ces deux femmes ont en commun : leur maladie, l’enchaînement de leurs histoires - la se­conde meurt au moment où la première guérit - et le chiffre douze. Ce chiffre renvoie aux douze tribus d’Israël, tandis que leur caractère féminin évoque la figure de l’épouse dans l’Ancien Testament, la bien-aimée choisie par Dieu. Les deux femmes représentent donc le peuple d’Israël dont la vie est brisée par l’action mystérieuse du mal et du péché. La pre­mière femme est déjà avancée en âge et voit ses forces vitales s’écouler ; la plus jeune est arrêtée dans sa croissance par la maladie. L’humanité est à la fois comme une femme con­damnée à mort et comme un enfant qui ne parvient pas à se développer pleinement.

Dans les deux cas, seul le contact avec le Fils de Dieu, qui croise leur route, peut changer leur vie : non pas prolonger simplement leur vie mais les faire accéder à une vie nouvelle. Pour la femme, la guérison est totale et lui ouvre une nouvelle vie puisque son impureté l’excluait, depuis douze années, de la vie sociale et religieuse de l’époque. Quant à la fillette, elle est ramenée à une vie nouvelle ; elle accède, à douze ans, à une vie en plénitude illuminée par le Christ.

Dans ce combat contre les puissances du mal, la seule prière de l’homme ne suffit pas : il faut le contact réel et physique avec le Christ sauveur, un contact qui dit le lien essentiel entre rédemption et incarnation. Un contact qui viole la Loi de Moïse. En effet, ils sont trois dans ce récit à dépasser la lettre de la Loi pour en retrouver son esprit.

13e TO B
Cette femme âgée, tout d’abord : Marc utilise par deux fois les expressions grecques du Lévitique pour parler de l’« écoulement de sang » (v.25, cf. Lv 15,25) qui rend une femme im­pure, et de la guérison de sa « source de sang » (v.29, cf. Lv 12,7). C’est pour cela que la femme se cache, par derrière dans la foule, où elle ne devrait pas même se trouver. Le Christ doit « regarder tout autour » (v.32) pour découvrir celle qui a conscience d’avoir com­mis une infraction : « saisie de crainte et toute tremblante ».

Puis, il y a le père de l’enfant, ensuite : en effet, il est chef de synagogue et se rend compte que Jésus vient de toucher une femme impure, ce qui le rend impur et le discrédite normalement comme rabbin. L’homme ne s’arrête pas à cela. Il fait entrer Jésus dans sa maison et le conduit même au­près de la morte, un autre interdit de la Loi (Lv 21).

Enfin, Jésus : en touchant publiquement deux femmes, impures de surcroît, il sait qu’il trans­gresse la Loi et que cela va lui être reproché. Il manifeste ainsi qu’il se situe au-dessus de la loi de Moïse et qu’en sa personne la Loi trouve sa perfection.

Le contact physique avec le Christ est décisif, mais la plénitude du salut vient du cœur à cœur avec lui. Ainsi la rencontre entre la foi humaine et l’amour de Dieu constitue le thème central de tout ce passage d’évangile. La femme n’a pas cherché à rencontrer Jésus. Elle souhaite une guérison. Le lecteur peut d’ailleurs, en première analyse, douter des vraies motivations de l’hémorroïsse : « si je parviens à toucher seulement son vêtement, je serai sauvée ». Su­perstition ? Magie ? « Jésus se rendit compte qu’une force était sortie de lui ». Mais Jésus n’est pas un simple thaumaturge ou un médium, il est maître des forces qui l’habitent ; il agit par amour et non par magnétisme. Il ne veut donc pas d’un contact anonyme. Il veut rencon­trer chacun en profondeur. Aussi fait-il venir la femme et lui demande-t-il de dire sa souffrance, alors même qu’elle est déjà guérie. Il a plus à lui apporter que la simple guérison physique. Il veut aussi guérir son cœur et lui donner la vie en plénitude. Il loue alors sa foi. Ses paroles ne laissent aucun doute et révèlent le secret des cœurs : « ta foi t’a sauvée ».

13e TO B
Le chef de la synagogue, lui, est d’emblée entré en dialogue avec Jésus au sujet de sa fille, l’invitant à « lui imposer les mains pour qu’elle soit sauvée » : dernier recours d’un désespé­ré qui est prêt à tout essayer. L’homme espère que le charisme de l’extraordinaire Rabbin va empêcher sa fille de mourir. Or elle meurt. Jésus le rassure alors et lui demande un acte de foi inouï que l’homme accepte bien que ses proches l’invitent à renoncer. « À quoi bon dé­ranger encore le Maître ? - Ne crains pas, crois seulement ! » (v.36). Dans ces deux miracles, l’action de Dieu est radicale et immédiate : « À l’instant l’hémorragie s’arrêta » ; « Aussitôt la jeune fille se leva ».

La foi… C’est précisément ce qui manquera à ses compatriotes dans l’épisode suivant, à Na­zareth, (et que nous entendrons dimanche prochain) et où Jésus ne pourra faire aucun miracle. Dans ces deux cas, nous voyons la double dimension, personnelle et collective, de la foi : c’est grâce à la foi de son père que la fillette est sauvée et c’est aussi tout le village de Nazareth qui restera imperméable à la foi... Voici ce que nous dit le Catéchisme à propos de la foi et qu’il est bon de nous rappeler ce matin :

« La foi est un acte personnel : la réponse libre de l’homme à l’initiative de Dieu qui se révèle. Mais la foi n ’est pas un acte isolé. Nul ne peut croire seul, comme nul ne peut vivre seul. Nul ne s ’est donné la foi à lui-même comme nul ne s’est donné la vie à lui-même. Le croyant a reçu la foi d’autrui, il doit la transmettre à autrui. Notre amour pour Jésus et pour les hommes nous pousse à parler à autrui de notre foi. Chaque croyant est ainsi comme un maillon dans la grande chaîne des croyants. Je ne peux croire sans être porté par la foi des autres, et par ma foi, je contribue à porter la foi des autres. » (CEC n°166)

Frères et sœurs, terminons la méditation de notre page d’évangile et mettons-nous à la place de la pauvre femme malade, pour porter devant le Christ toutes nos maladies ; mettons-nous à la place de Jaïre, pour porter au Christ toutes les âmes qui nous sont confiées et qui se meurent sans lui. Que notre participation à la messe en soit illuminée : en se donnant à nous dans sa Parole et dans le Pain Eucharistique, le Christ se laisse toucher par nos misères. Il n’a besoin que de notre foi dépouillée pour renouveler le fond de notre existence. Amen.

Fr. Jean-Marie-Joseph