« Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout petits » (Mt 11, 25).
À coup sûr sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus fait partie de ces « tout petits » à qui le Bon Dieu révèle ses secrets. Je voudrais aujourd’hui m’arrêter avec vous sur un de ces secrets, sur une de ces vérités que le Bon Dieu a révélée à sainte Thérèse. Il s’agit d’une lumière particulièrement vive qu’elle a reçue au sujet du rapport entre nature et grâce, ou pour le dire autrement, au sujet de notre collaboration à l’œuvre du salut.
L’œuvre de notre salut et de notre sanctification est en effet une œuvre commune que Dieu et nous accomplissons ensemble, une œuvre à laquelle nous collaborons avec Dieu. Il est donc de la plus grande importance de savoir ce que nous devons faire et comment nous devons le faire pour collaborer comme il faut à cette œuvre. Sainte Thérèse a répondu à cette question dans ce qu’on en est venu à appeler « la parabole du petit pied ». C’est Sœur Marie de la Trinité, une de ses novices, qui nous la rapporte :
« Je me décourageais à la vue de mes imperfections, écrit-elle […]. Sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus me dit [alors] : “Vous me faites penser au tout petit enfant qui commence à se tenir debout, mais ne sait pas encore marcher. Voulant absolument atteindre le haut d’un escalier pour retrouver sa maman, il lève son petit pied afin de monter la première marche. Peine inutile! Il retombe toujours sans pouvoir avancer. Eh bien, soyez ce petit enfant ; par la pratique de toutes les vertus, levez toujours votre petit pied pour gravir l’escalier de la sainteté, et ne vous imaginez pas que vous pourrez monter même la première marche! Non ; mais le bon Dieu ne demande de vous que la bonne volonté. Du haut de cet escalier, il vous regarde avec amour. Bientôt, vaincu par vos efforts inutiles, il descendra lui-même, et, vous prenant dans ses bras, vous emportera pour toujours dans son royaume où vous ne le quitterez plus. Mais si vous cessez de lever votre petit pied, il vous laissera longtemps sur la terre” » (Conseils et souvenir de Marie de la Trinité, n° 10).
Il y a dans la vie spirituelle deux attitudes qui sont tous les deux également erronée, également néfastes : ce sont, d’une part, la présomption de la miséricorde divine, et, d’autre part, la présomption de nos propres capacités (cf. CEC, n° 2092). Nous présumons de la bonté et de la miséricorde divines, lorsque nous pensons pouvoir obtenir le pardon de nos péchés sans conversion et la gloire de la vie céleste sans mérite. Nous prétendons pouvoir nous passer de tout effort ascétique et nous justifions cette attitude laxiste par l’infinie bonté de Dieu, par l’infinie miséricorde de Dieu, qui, disons-nous pardonnera tous nos péchés et nous sauvera tous. Cette attitude est une erreur et un manquement à la vertu d’espérance. Il en va de même de la présomption de nos propres capacités : nous présumons de nos capacités et de nos forces, lorsque nous pensons pouvoir atteindre la sainteté par nos propres efforts sans le secours de Dieu. Nous pensons que le progrès dans la vie spirituelle dépend exclusivement de nos efforts. Cette attitude rigoriste se solde habituellement par le découragement en raison de nos échecs répétés, en raison des péchés dans lesquels nous retombons continuellement.
La voie de la véritable perfection chrétienne se situe au milieu, entre la présomption de la miséricorde divine et la présomption de nos propres forces. C’est la voie de la vertu d’espérance que décrit sainte Thérèse dans sa parabole du petit pied : nous sommes tous ce petit enfant, ce tout petit enfant, faible et chétif, au bas de cet immense escalier de la sainteté, qui se perd dans les cieux et que nous désirons monter. Ce désir de la sainteté est capital. Il est le point de départ de notre vie spirituelle. Il répond à l’appel que Dieu nous adresse à un chacun de nous pour devenir des saints, de très grands saints. Si nous ne l’avons pas, nous devons le demander au Bon Dieu et l’éveiller en nos cœurs par de bonnes et saintes lectures.
Nous sommes donc ce tout petit enfant au bas de l’escalier et nous désirons le monter, disais-je. Voilà que nous commençons à lever notre petit pied pour monter la première marche. Mais très vite, nous nous rendons compte que c’est inutile. Nous sommes tout simplement trop petits, trop faibles pour pouvoir grimper ne serait-ce que la première marche de cet immense escalier de la perfection. Alors, allons-nous abandonner notre entreprise et renoncer à nos désirs de sainteté ? Allons-nous nous assoir au bas de l’escalier et pleurer ou, pire, chercher à nous contenter avec ce qu’il y a en bas, dans le monde ? Non, en aucun cas ! Nous allons continuer à lever notre petit pied inlassablement. Nous allons continuer à faire des efforts, tout en sachant pertinemment qu’ils sont vains et que jamais nous n’arriverons à grimper ne serait-ce que la première marche. L’effort absolu et persévérant que nous faisons pour pratiquer la vertu et mortifier nos vices ne nous permettra jamais d’atteindre la sainteté, la perfection de la charité, l’union divine. Ce n’est d’ailleurs pas son but ! Le but de nos efforts répétés est d’attirer l’attention du Bon Dieu, qui est tout en haut de l’escalier et qui ne nous perd jamais du regard. Le but de nos efforts répétés est de lui montrer notre amour pour lui, de lui montrer notre désir de le rejoindre au ciel. Touchés par cet amour et ce désir, que traduisent par nos efforts persévérants quoique vains et inutiles, le Bon Dieu descendra l’escalier, nous prendra dans ses bras et nous portera lui-même au sommet de la sainteté. Si, par contre, nous abandonnons nos efforts et cessons de lever notre petit pied, le Bon Dieu pensera que nous sommes contents en bas et ne descendra pas nous chercher.
Voyez, nous devons continuellement faire des efforts dans la vie spirituelle, pour persévérer dans l’oraison, la lecture spirituelle, la fréquentation des sacrements, la pratique de la vertu, sans jamais nous laisser décourager, sachant que nos efforts n’ont pas directement pour but de nous sanctifier, mais de nous disposer à nous laisser sanctifier par Dieu. Ils ont pour but de montrer au Bon Dieu notre amour et notre désir de lui. Nos efforts traduisent notre amour de Dieu et notre désir de la sainteté. Ils nous disposent ainsi à la recevoir de Dieu.
Il s’ensuit que notre collaboration à l’admirable œuvre de notre sanctification ne consiste pas seulement en de saints désirs et de bonnes intentions. – Le Curé d’Ars disait que l’enfer était pavé de bonnes intentions. – Notre collaboration consiste à traduire dans des efforts réels et concrets nos saints désirs et nos bonnes intentions et de faire ces efforts non pas dans le but de nous sanctifier mais dans le but de plaire au Bon Dieu, de lui manifester notre amour de lui et notre désir de lui. Il s’agit pour nous de trouver notre joie à jeter ainsi nos pétales de rose devant le Bon Dieu pour son seul bon plaisir, pour son seul contentement. C’est ainsi que prouvons au Bon Dieu notre bonne volonté, comme le dit sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. C’est ainsi que nous collaborerons comme Dieu le veut à son admirable œuvre de notre salut.