(Jr 33,14-16 – 1 Th 3,12-4,2 – Lc 21,25-28.34-36)
Frères et sœurs, une nouvelle année commence : l’occasion de lever les yeux, de nous mettre en chemin vers le Seigneur, de sortir de nous-mêmes. Ou plutôt : de l’accueillir, car Il vient lui-même nous chercher. Lorsque l’on sonne à notre porte, nous ne faisons que quelques pas pour ouvrir au voyageur qui vient de loin ; de la même manière, le Seigneur fait l’essentiel du chemin et notre bref parcours d’Avent va consister à ouvrir la porte de notre cœur pour nous réjouir de la venue du Messie.
« Redressez-vous et relevez la tête » : l’exhortation de Jésus dans l’évangile nous apostrophe au début de cette période de l’Avent. La forêt de nos soucis et préoccupations quotidiennes nous enserre dans la grisaille et l’immédiateté : voici une clairière qui s’ouvre enfin, la nouvelle année liturgique avec ses splendeurs spirituelles, qui nous invite à passer du naturel au surnaturel. Pour cela, il faut donc lever les yeux vers le Seigneur.
Concrètement nous sommes invités à regarder, au-delà de l’horizon de l’immédiatement perceptible, la présence de Dieu dans nos vies et dans le monde autour de nous : création, événements, liens familiaux et amicaux, grâces reçues. Nos proches et tous ceux que nous rencontrons sont beaucoup plus que ce qui paraît à première vue. Par eux, Dieu nous parle et Il veut leur parler par nous. L’histoire de nos vies et du monde est plus qu’une suite d’événements chaotiques ; notre horizon est infiniment plus étendu que nos soucis quotidiens. Nous attachons-nous à décrypter ces événements et à y déceler la présence et le plan de Dieu ? Y a -t-il, chaque jour dans nos vies, place pour accueillir l’imprévu et l’inconnu ?
L’oracle de Jérémie, dans notre 1ère lecture, qui répète à plusieurs reprises l’expression « en ces jours-là », nourrit notre espérance : l’Avent nous introduit dans le temps de l’accomplissement des promesses. Le Dieu fidèle à son Alliance tiendra sa Parole, Il « accomplira la parole de bonheur » pour son Peuple. Cette expression générique désigne le don de la vie en plénitude, une promesse qui s’est déjà accomplie avec l’incarnation du Fils, et ne cesse de s’accomplir depuis dans chacune de nos Eucharisties. Par sa venue sur la terre, Jésus a inauguré une nouvelle période du Salut : « Paix sur la terre aux hommes qu’Il aime », chantent les anges à sa naissance (Lc 2,14). Par sa venue chaque jour dans l’Église, Il nourrit son Peuple et l’engendre à la vie de l’Esprit. Lors de son avènement à la fin des temps, Il portera cette vie à son achèvement et la simple « promesse de bonheur » s’élargira au don de la Gloire sans fin dans le Ciel.
Nous proclamons donc aujourd’hui l’évangile du discours eschatologique : la liturgie l’a choisi pour nous maintenir dans une saine tension et nous faire attendre le retour de Celui qui est notre espérance. Mais comment vivons-nous cela dans le concret de nos existences ? Notre espérance est-elle surtout humaine, matérielle, ou bien avons-nous un autre horizon, le Royaume qui vient ? Est-ce que, face aux souffrances et imperfections de ce monde, nous désirons et œuvrons pour le Royaume qui vient, en appelant le Seigneur comme les premiers chrétiens, Maranatha ! Ou bien ce monde, finalement, nous convient-il assez bien…
Alors, frères et soeurs, je vous propose ce matin trois attitudes qui nous permettront de vivre l’Avent fructueusement : la vigilance, la charité et la contemplation avec Marie.
VIGILANCE : Jésus, dans l’évangile de ce jour, tient des propos difficiles qui viennent nous interpeller vivement : la description des événements dramatiques de la fin des temps est effrayante, et souvent les prédicateurs, gênés, ne l’expliquent pas, préférant tourner la page et retrouver un Jésus plus confortable avec ses miracles et ses paraboles…
Alors, ne nous attardons pas trop sur les bouleversements cosmiques qui sont mentionnés : le Christ ne cherche pas à nous donner des indications concrètes, mais veut nous avertir que toute la création vivra un changement et une fin grandioses. Nous sommes déjà témoins, comme à chaque époque, de tant d’événements paradoxaux : catastrophes, guerres, épidémies, scandales… Ils doivent nous replacer dans l’espérance eschatologique. Le Jugement dernier marquera la fin de l’histoire…
La fin des temps sera terrible pour les hommes qui auront placé tous leurs espoirs dans ce monde qui passe : « les hommes mourront de peur dans la crainte des malheurs arrivant sur le monde » (Lc 21,26) ; mais, pour nous, frères et soeurs, pour nous les croyants et les hommes de bonne volonté, ceux qui attendent un autre monde, et qui y travaillent déjà, ce retour sera un jour de joie et une libération, le Jour de Dieu, le jour de l’accomplissement de la promesse.
Nous savons tout cela, mais l’attente peut paraître longue et le temps peut émousser la vigueur de notre espérance. Le cœur pourrait alors chercher ailleurs d’autres consolations illusoires.
L’avertissement de Jésus est plus actuel que jamais : nous sommes toujours tentés par les ivresses habituelles, celles du pouvoir, du plaisir et de l’argent, qui continuent à faire des ravages.
De plus, de nouvelles dépendances ont vu le jour, comme la drogue ou Internet. Laïcs ou religieux, hommes ou femmes, jeunes ou moins jeunes, l’ordinateur fait irruption dans notre intimité pour nous proposer ces ivresses faciles qui détruisent en quelques instants l’œuvre vertueuse de plusieurs années : pornographie, violence, jeux vidéos et jeu de hasard, échange fébrile d’informations malveillantes et malsaines, consommation compulsive, isolement progressif du reste du monde…
L’appel de Jésus nous rejoint : « Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans les beuveries… » (Lc 21,34). L’Avent est un temps très propice pour réduire avec décision notre présence dans tant de lieux superficiels et dangereux.
Écoutons donc, Notre Seigneur, cet “excellent” médecin de l’âme et notre futur Juge !
LA CHARITÉ
Avec l’apôtre Paul, pour devenir saints et se préparer à recevoir le Seigneur, pendant et à la fin de nos vies, il faut grandir en charité : « Que le Seigneur vous donne, entre vous et à l’égard de tous les hommes, un amour de plus en plus intense et débordant » (1Th 3,12).
Il ne s’agit pas seulement de bienveillance et de gentillesse ordinaire à l’égard de ceux qui nous entourent. Il s’agit d’aimer comme Dieu, tous les hommes, de manière intense et débordante. Même si c’est Dieu qui justifie l’homme et le purifie pour le rendre digne de lui, il nous est instamment demandé de faire de « nouveaux progrès », de laisser l’Esprit s’emparer de notre vie pour y faire régner la charité du Christ.
L’Avent, comme le Carême, est un temps de conversion. Nous pouvons, au cours de ce mois, nous fixer des objectifs concrets et ambitieux pour aimer plus généreusement et au-delà de notre cercle habituel. L’Esprit saura saisir l’opportunité pour nous sanctifier. N’oublions pas qu’une des plus excellentes formes de charité est d’attirer notre prochain vers le Christ. L’Avent est une marche vers la lumière, comment pourrions-nous laisser les autres dans les ténèbres ?
CONTEMPLATION AVEC MARIE
Enfin, 3e attitude pour notre Avent, tournons-nous vers notre Mère, et entrons dans la contemplation avec Marie. « Je ferai germer pour David un Germe de justice » (Jr 33,15)…
L’image est particulièrement frappante pour ce temps de l’Avent, alors que Marie est enceinte de Jésus, lui-même Fils de David, qui vient accomplir ces promesses. Caché en son sein depuis l’Annonciation, le Germe est en train de grandir ; Marie le sent et l’attend avec amour...
Marie est l’image de l’Église : elle nous engendre aujourd’hui à la vie dans le Christ, mais cette vie est encore cachée comme celle de l’embryon ; notre véritable naissance sera l’entrée au Ciel.
« Ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous le savons : quand cela sera manifesté, nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est » (1 Jn 3). Imitons donc Marie en ce temps de l’Avent.
Pour cela, je vous invite à méditer et à relire cette belle prière à Marie de Mgr Antonio Bello, prélat italien en voie de béatification. Cette prière est à votre disposition en nombre suffisant au fond de la chapelle.
« Sainte Marie, Vierge de l’attente, donne-nous de Ton huile, parce que nos lampes s’éteignent. Vois, nos réserves se sont consumées. Ne nous envoie pas chez d’autres marchands. Allume à nouveau dans nos âmes les anciennes ardeurs qui nous brûlaient de l’intérieur, quand il suffisait d’un rien pour nous faire tressaillir de joie : l’arrivée d’un ami lointain, le rouge du soir après l’orage, le crépitement de la bûche qui en hiver surveillait les retours à la maison, le son des cloches carillonnant les jours de fête, l’arrivée des hirondelles au printemps, l’arrondi tendre et mystérieux du ventre maternel, le parfum de lavande qui faisait irruption quand on préparait un berceau. Si aujourd’hui nous ne savons plus attendre, c’est parce que nous sommes à court d’espérance. Ses sources se sont asséchées. Nous souffrons d’une crise profonde du désir. Et, désormais satisfaits des mille succédanés qui nous assaillent, nous risquons de ne plus rien attendre, pas même ces Promesses surnaturelles qui ont été signées avec le Sang du Dieu de l’Alliance.
Sainte Marie, Femme de l’attente, soulage la douleur des mères souffrant pour leurs fils qui, sortis un jour de la maison, n’y sont jamais revenus, tués dans un accident ou séduits par les appels de la jungle ; dispersés par la fureur de la guerre ou aspirés par le tourbillon des passions ; engloutis par la fureur de l’océan ou bouleversés par les tempêtes de la vie.
Sainte Marie, Vierge de l'attente, donne-nous une âme de veilleur. Arrivés au seuil du troisième millénaire, nous nous sentons malheureusement plutôt fils du crépuscule que prophètes de l'Avent. Sentinelle du matin, réveille dans nos cœurs la passion de fraîches nouvelles à porter à un monde qui se sent déjà vieux. Apporte-nous enfin la harpe et la cithare, afin qu'avec Toi, matinale, nous puissions réveiller l'aurore. Face aux changements qui secouent l'histoire, donne-nous de sentir sur notre peau les frissons des commencements. Fais-nous comprendre qu'il ne suffit pas d'accueillir, il faut attendre. Accueillir est parfois un signe de résignation. Attendre est toujours un signe d'espérance. Rends-nous pour cela ministres de l'attente. Quand le Seigneur viendra, ô Vierge de l'Avent, qu'Il nous surprenne la lampe à la main, grâce à Ta complicité maternelle. » Amen.
fr. Jean-Marie-Joseph