« Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. » (Mt 11,25)
Frères et sœurs, nous fêtons aujourd’hui celle que nous aimons appelé « la petite Thérèse ». Si cela nous permet de la distinguer avec la réformatrice du Carmel, Thérèse d’Avila que nous fêterons dans 15 jours, cette appellation nous montre surtout ce qui caractérise principalement la sainteté de Thérèse, la mission spéciale qu’elle reçut de provoquer dans le monde des âmes de redécouvrir la voie de simplicité et d’enfance évangéliques, en même temps qu’un mouvement de confiance généreuse envers l’amour miséricordieux du Bon Dieu.
Thérèse a un besoin croissant avec l’âge, de devenir toujours plus petite et plus enfant vis-à-vis de Dieu, ce qui la pousse à une dévotion toujours plus grande vers Marie et vers Jésus enfant. C’est de cette attitude filiale que naîtra son humilité si vraie et si joyeuse ; c’est aussi de là que naîtra une confiance qui va germer intensément et va aller jusqu’à l’audace ; voici ce qu’elle nous dit, par exemple, sur son désir de sainteté :« Le Bon Dieu... me fit comprendre aussi que ma gloire à moi ne paraîtrait pas aux yeux mortels, qu'elle consisterait à devenir une grande Sainte !!!... Ce désir pourrait sembler téméraire si l'on considère combien j'étais faible et imparfaite et combien je le suis encore après sept années passées en religion, cependant je sens toujours la même confiance audacieuse de devenir une grande sainte, car je ne compte pas sur mes mérites n'en ayant aucun, mais j'espère en Celui qui est la Vertu, la Sainteté même, c'est Lui seul, qui, se contentant de mes faibles efforts, m'élèvera jusqu'à Lui et, me couvrant de ses mérites infinis, me fera Sainte. » (MA 32r)
C’est ce qu’elle dira à sa soeur, Marie du Sacré-Coeur, un an avant sa mort :
« Comprenez que pour aimer Jésus, être sa victime d'amour, plus on est faible, sans désirs, ni vertus, plus on est propre aux opérations de cet Amour consumant et transformant... Le seul désir d'être victime suffit, mais il faut consentir à rester pauvre et sans force et voilà le difficile... » (LT 197)
L’abandon de Thérèse arrive a transfiguré ses épreuves et la voie d’enfance spirituelle auquel Thérèse aspire n’est pas recherchée pour adoucir la souffrance, mais pour la vivre de manière réaliste et rédemptrice.
Toute jeune, durant sa période des scrupules, Thérèse s’inquiétait chaque soir, avant de se coucher, de savoir si durant la journée elle avait « fait de la peine au Bon Dieu ». Après cette période et tout au long de sa vie religieuse, Thérèse ne s’inquiètera plus de savoir si elle a fait de la peine au Bon Dieu mais elle s’abandonnera simplement pour chercher « comment faire plaisir au Bon Dieu ».
Sous prétexte d’abandon, il ne peut être question de se replier sur soi-même et de laisser lever en soi des déceptions et des ressentiments inavoués. Face à une faiblesse ou à une tentation persistante, inutile de se cacher la tête dans le sable : ce n’est pas en niant la réalité qu’on supprimera l’obstacle. Une telle attitude ne saurait durée bien longtemps ; tôt ou tard on se heurtera de nouveau à ces difficultés non résolues.
Aussi Thérèse déconseille ses sœurs de brûler les étapes : il faut assumer patiemment, une à une, les difficultés, sous peine de les voir s’accumuler...
Nous sommes bien souvent trop craintifs pour nous livrer totalement au Père, trop fiers, peut-être
pour accepter loyalement un tête-à-tête qui nous gêne, nous nous réfugions dans une activité absorbante, intellectuelle ou autre, indispensable ou non, qui distrait de Dieu notre regard intérieur, tout en nous laissant l’alibi de travailler pour sa gloire. Or ce n’est pas Dieu qu’il faut quitter, mais nous-mêmes qu’il faut libérer de tout attachement captatif aux choses et aux événements.
Souvent Thérèse a remarqué le manque d’altruisme chez les soeurs de son noviciat et leur a fait pointer du doigt un égocentrisme qu’elles entretenaient pour de bonnes raisons.
Pour Thérèse, pas d’artifices : la sainteté projetée n’est pas la sainteté réelle. Voici encore ce qu’elle dit dans son autobiographie : « Je ne méprise pas les pensées profondes qui nourrissent l’âme et l’unissent à Dieu, mais il y a longtemps que j’ai compris qu’il ne faut pas s’appuyer sur elles et faire consister la perfection à recevoir beaucoup de lumières. Les plus belles pensées ne sont rien sans les oeuvres. » (MC 19v)
Thérèse décape tous les vernis pour retrouver le bois brut d’une existence vraiment évangélique. Les compensations plus ou moins conscientes, la paresse qui perpétue les malaises ou s’y complaît, toutes les ruses que l’on peut trouver pour se faire plaindre ou se prendre en pitié, tout cela ne s’accorde pas avec l’enfance spirituelle.
En effet, dès le début, l’enfance spirituelle oblige à un rapprochement honnête avec nous-mêmes et avec nos difficultés qui ne sont pas tant à surmonter qu’à supporter dans l’amour, ni tant à démentir qu’à offrir au Bon Dieu. Plus notre abandon est filial et spontané, mieux on comprend en tout événement la volonté du Père et l’appel du Christ Jésus. L’abandon thérésien s’exprime à la fois comme une rencontre et comme un cheminement ; et c’est en cela qu’il exprime si bien le réalisme évangélique de la foi.
C’est grâce à cet abandon que Thérèse en vient à s’offrir à l’Amour miséricordieux. Vivre comme un enfant, pauvre, vulnérable, mais profondément sûr d’être aimé par le Père. C’est pourquoi, Thérèse comprend qu’il s’agit moins de donner que de recevoir, moins de s’agiter que de se donner à l’Esprit Saint qui fait toutes choses nouvelles, parce que Dieu qui nous appelle, veut être, notre vérité, notre richesse et notre bonheur.
Frères et sœurs, si l’abandon tient une telle place dans la pédagogie de Thérèse, c’est qu’il est resté, jusqu’au bout l’axe de son propre cheminement spirituel. C’est l’abandon qui permet à son audace d’aboutir et qui ouvre Thérèse à la lumière que Dieu lui apporte… Et plus elle comprend l’amour du Père, plus elle s’ouvre à l’horizon universel de la Rédemption… Thérèse sait, par la foi, qu’elle peut faire beaucoup, rien qu’en aimant beaucoup, et elle envisage sereinement la mort en songeant que la gloire, auprès de Dieu, loin de la contraindre à l’inaction, l’associera plus étroitement que jamais à l’action du Christ pour l’avènement de son règne… Tel est le mouvement d’abandon, qui résume la pensée et la vie de Thérèse Martin, son style de sainteté et toutes ses aspirations apostoliques.
Alors, même ce que nous traînons avec nous de plus pesant ou de plus négatif peut être converti en amour, une fois offert au regard de Dieu. « Devant Lui, en effet, nous pouvons apaiser notre cœur… car Dieu est plus grand que notre cœur. » (1 Jn 3,20)
Alors, au cours de cette Eucharistie où Jésus se donne à nous en nourriture, demandons Lui par l’intercession de sa très Sainte Mère et de la petite Thérèse de nous aider à vivre toujours davantage sur ce merveilleux chemin de l’abandon et de la confiance en Dieu. Amen