lundi 21 novembre 2022

Homélie pour la Solennité du Christ-Roi

Chers frères et sœurs,

C’est une joie de fête la fête du Christ-Roi de l’univers. Si nous la fêtons à la fin de l’année liturgique, c’est bien parce que nous attendons le retour de Jésus dans la gloire où sa royauté sera parfaitement manifestée. Mais il ne faudrait pas que cette espérance nous fasse oublier un point essentiel : c’est que le Christ, dès maintenant, est le Roi des nations. C’est une vérité de foi, comme la Résurrection. Jésus est déjà Roi. Depuis sa mort et sa résurrection, il siège à la droite du Père qui lui a donné toute autorité au ciel et sur la terre. Mais cette vérité de foi est soumise à beaucoup d’objections. Et il semble que l’évangile d’aujourd’hui les ait prises en compte. Nous allons commencer par les écouter (1). Nous nous mettrons ensuite à la place du bon larron pour y répondre, par la foi (2), et pour trouver le moyen de participer à la royauté du Christ sur le monde (3).

(1) Il y a trois grandes objections à la vérité de foi selon laquelle Jésus est déjà le véritable Roi. Elles sont assez semblables aux trois tentations de Jésus au désert, ou aux trois mauvaises terres sur laquelle la semence de la parole est semée. Elles sont ici soulevées par trois catégories de personnes. Tout d’abord les chefs du peuple, les prêtres. Pour eux, Jésus qui a sauvé d’autres personnes ne peut pas se sauver lui-même alors qu’il est suspendu à la Croix. Il n’est donc pas le roi-messie, l’élu attendu. Il s’agit là d’une objection toute sacerdotale que nous pourrions faire encore aujourd’hui. Puisque les « succès » religieux de Jésus, ou de l’Église, ne sont plus aussi éclatant à l’heure de l’épreuve, lorsque Jésus est crucifié, ou lorsque l’Église est enlaidie par la manifestation du péché de ses membres, Jésus ne peut donc pas être le véritable roi. Il ne doit pas régner actuellement. La deuxième objection est politique. Elle est soulevée par les soldats. Ils ne connaissent qu’une forme de royauté : celle de César. Et pour eux, le roi est celui que l’on adule et sert parce qu’il manifeste sa puissance et son autorité. Or ici, Jésus est au sommet apparent de l’impuissance. Il ne peut donc pas être le véritable roi. Il en va de même pour nous. Jésus règne-t-il vraiment sur nos sociétés sécularisées qui le rejettent ? Règne-t-il aussi dans les pays qui ne l’ont jamais vraiment accueilli ? Règne-t-il dans les pays en guerre ? La troisième objection est personnelle. Elle est celle du mauvais larron. Il demande à Jésus de se sauver et de le sauver aussi par la même occasion. Sa vie est un échec. Jésus règne-t-il en elle ? Nous pourrions nous faire la même réflexion. Nos épreuves, nos péchés, nos erreurs, nos blessures, sont-ils une contradiction offerte à la royauté du Christ sur nous ?

(2) À ces trois objections, le bon larron répond par un regard de foi. Il contemple Jésus comme l’innocent qui porte sur lui la condamnation des malfaiteurs. Il est le serviteur souffrant. Et en cela, il est le véritable roi. Jésus règne effectivement sur l’Église, les nations et sur nos vies. Mais pas à la manière d’un potentat. Il règne sur nous comme un véritable serviteur. Il règne en rendant à l’Église, à toutes les nations du monde, à chacune de vie, ce service le plus haut qui soit de porter sur lui notre péché pour nous en délivrer, pour en triompher, pour l’engloutir dans sa Passion et sa Résurrection. Son acte de gouvernement le plus éminent consiste à faire abander sa grâce là où notre péché abonde. Il règne vraiment parce qu’il nous sauve comme membre de son Corps mystique.

(3) Mais le bon larron ne se contente pas de ce regard de foi. Il se tourne vers Jésus et lui dit : « Souviens-toi de moi ». Demander à Dieu de se « souvenir » est une demande très forte dans la Bible. Lorsque Dieu se souvient, il manifeste sa puissance de vie au cœur des catastrophes les plus insurmontables. Par exemple, c’est ce verbe qui est employé pour dire que « Dieu se souvient de Noé » au cœur du déluge ; qu’il se souvient de « Rachel » au cœur de son épreuve de stérilité ; ou qu’il se « souvient » des fils d’Israël qui ploient sous le joug de Pharaon. Cette demande du bon larron reprend aussi les mots de Joseph, le patriarche, qui demande à son compagnon de détention de se « souvenir » de lui après sa délivrance. Lorsque le bon larron demande à Jésus de se souvenir, il lui demande donc deux choses : d’une part de manifester sa puissance de vie au cœur de la ruine que constitue la fin de son existence ; et d’autre part, de l’association à son règne, à l’instar de Joseph qui après sa sortie de prison est devenu le second de Pharaon. Voilà exactement ce que nous pourrons vivre dans cette eucharistie. Nous pourrons demander, à l’image du bon larron, de se souvenir de nous, de l’Église blessée, du monde entier. Nous pourrons alors le laisser exercer sa royauté d’amour sur nous. Nous pourrons anticiper la joie du ciel. Et nous pourrons entendre Jésus nous dire, à nous aussi, aujourd’hui tu seras avec moi dans Paradis.

Fr. Baptiste